Quel management pour les réseaux de franchise ?

le 02 novembre 2006

Evoluant dans le monde des réseaux depuis 30 ans, Hervé Goujon dirige le groupe Edifia, spécialisé dans la formation des forces de vente. Sa société a accueilli en vingt ans des centaines de cadres de franchises ou de coopératives. Pour Hervé Goujon, qui intervient dans les séminaires et conventions de nombreuses enseignes, le management des réseaux demande à être réalisé « tout en finesse, tout en intelligence ». Mais est-ce vraiment le cas ? Interview.

Quelles sont les particularités du  management des réseaux ?

La différence de management avec les succursalistes ou les entreprises classiques, c’est la dimension hiérarchique. Face à des salariés, sa position hiérarchique permet au manage, même s’il n’est pas bon, de serrer les boulons. Dans un réseau de franchise, il faut intervenir tout en douceur, tout en intelligence. C’est du vrai management. Henry Kissinger disait : « Le vrai manager est celui qui prend les hommes là où ils ont pour les amener là où ils ne sont jamais allés ». Dans un réseau de franchise, il faut des super managers super motivateurs, et pour cela, s’entraîner tout le temps, se former tout le temps. Car la formation, ce n’est pas pour les mauvais : c’est pour les bons, pour qu’ils deviennent encore meilleurs.

Ne pas vendre sa franchise coûte que coûte

La première vocation des managers de réseau, c’est de savoir sélectionner les candidats. Si vous ne mettez pas la bonne personne à la bonne place, cela ne fonctionne pas.

Il existe des candidats dotés d’une volonté de développement personnel extrêmement forte, mais sans l’envie de travailler en réseau. Ils acceptent la franchise comme un passage obligé. Passées les 2 ou 3 premières années, pendant lesquelles ils assimilent le plus gros du savoir-faire, ils ont le sentiment de tout savoir et on court au conflit !

Il ne faut pas vendre sa franchise coûte que coûte, choisir les franchisés uniquement pour leur argent, mais parce qu’on leur a expliqué exactement ce qu’on voulait faire et qu’ils y adhèrent.

Mc Do a reçu un candidat, fils de famille qui avait de l’argent à ne pas savoir qu’en faire. Après l’étape habituelle dans un restaurant, ils ont conclu que ce postulant n’avait pas la capacité de travail suffisante et l’ont refoulé. Il a atterri dans un réseau de livraison à domicile où il a connu l’échec.

Marque forte et management souple

Je distingue toujours deux sortes de réseaux. Chez ceux dans lesquels la marque est très forte tels que Mc Do, toutes les erreurs de management se gomment. Vous êtes franchisé Mc Do, vous décidez de devenir franchisé Tartembûche Burger, vous perdez immédiatement 70 % de votre clientèle et vous êtes mort. Le rapport de force est en faveur de Mc Do, et il peut se permettre d’imposer ses vues.

Dans une franchise beaucoup moins connue, la marque n’est pas assez forte pour assurer à elle toute seule une clientèle. Donc, il faut un management beaucoup plus fin et beaucoup plus humain. Sans pour autant tout laisser faire et tout laisser dire.

La passion est une qualité indispensable pour diriger un réseau. Mais attention, il ne suffit pas d’être passionné : il faut être passionnant, c’est-à-dire passionner les autres.

De la passion, du plaisir, de la morale

Le franchiseur doit en outre appliquer deux principes. Celui de la valorisation du réseau, qui consiste à encourager, pousser, féliciter, motiver en permanence ses franchisés. Puis le principe de la convivialité. Il faut que les gens s’amusent, se retrouvent avec plaisir, dans les réunions, les conventions, les groupes de progrès.

Le dirigeant doit savoir moraliser les choses. Quand quelqu’un n’a plus le comportement adéquat, ne respecte pas le cahier des charges ou le contrat, triche, bref, sort du cadre, il faut l’arrêter, même si c’est un gros franchisé qui rapporte de l’argent. On ne peut pas accepter qu’un maximum de personnes fasse des efforts pour faire fonctionner une marque, un réseau, et que d’autres se mettent dans cette situation dans laquelle ils ne sont plus acteurs, mais spectateurs critiques de ce qui se passe.

Mais cette attitude ferme n’est possible, envisageable et souhaitable que dans des situations d’exception, pas dans le cas d’un réseau mal managé. Et elle n’est acceptable par les franchisés qu’autant que le franchiseur est un élément dynamisateur important : ce qui lui donne le droit de se fâcher, c’est qu’il apporte beaucoup.

Quand ca ne marche pas…

Le franchiseur Maisons Sonkad pensait devoir tout amener à ses franchisés. Il organisait des réunions marathon où il parlait, parlait, parlait, sans que ses franchisés participent. Maisons Sonkad n’existe plus.

Quand le franchiseur ne considère plus que sa réussite passe par celle de ses franchisés, qu’il en est à gagner de l’argent en pillant ces derniers, on court à la catastrophe.

Même quand ce n’est pas la réalité, il suffit que le sentiment s’en installe. A Nantes, l’un des principaux franchisés Mc Do a quitté le réseau en claquant la porte parce que, disait-il : « Ils se fichent de moi, installent des concurrent à ma porte. J’ai des bonnes idées, on ne m’écoute pas ».

Quel est le secret du fonctionnement optimal d’un réseau ?

Vivre dans un réseau, c’est appliquer des décisions prises en dehors de vous. C’est prendre ce que vous apporte le groupe, mais c’est aussi apporter soi-même un certain nombre de choses. Un réseau dont les franchisés attendent qu’on leur donne la becquée sans participer à la vie interne, est un réseau qui peine rapidement.

Franchiseur et franchisés doivent adhérer à des objectifs communs

Un réseau fonctionne bien quand il a un objectif fort et un degré fort d’adhésion à cet objectif. Ce n’est pas simplement l’objectif du franchiseur, c’est aussi celui des franchisés. L’adhésion ne se décrète pas. On l’obtient par la passion. Passion du réseau, du produit, de la marque, du groupe.

Par exemple, j’ai participé récemment à la dernière convention du réseau d’expertise immobilière Agenda. La loi venant de rendre obligatoire les expertises dans le locatif, le marché va être rapidement doublé ou triplé. L’objectif était de convaincre ainsi les franchisés : « Ne misez pas sur + 10 % en 2007. Mais prenez le marché qui arrive, saisissez la chance de surfer sur cette nouvelle vague, sinon d’autres le feront et cela pourra être dangereux pour vous demain. Celui qui ne prendra pas cette place ne rendra pas service non plus à ses collègues du réseau. Car ce dernier est bâti sur le fait que chacun tient sa place et fasse bien son travail ».  

Cette adhésion à des objectifs communs passe par des groupes de progrès dans lesquels personne n’a la prétention de dire : « Je sais tout ». Tout le monde comprend mieux ce qui se passe. C’est bien moins fatigant pour le franchiseur et bien plus instructif pour le franchisé.

Le juste prix

Majoritairement, les franchiseurs sont conscients de la nécessité d’une bonne structure d’animation de réseau.

Mais ils n’ont pas toujours  correctement intégré ce poste dans le calcul de leurs royalties et sont parfois obligés de demander sans cesse à leurs franchisés de remettre la main à la poche… D’autant qu’une bonne équipe de management a besoin de formations régulières, et cela a un coût.

Les franchiseurs qui ont résolu ces questions ont des réseaux qui fonctionnent.  Les autres ont beaucoup plus de mal.

Comment a évolué en 25 ans le management des réseaux ?

Aujourd’hui, contrairement aux années 1980, il y a dans les réseaux ces notions de plaisir et d’adhésion. Et de très gros progrès ont été faits dans le domaine de l’animation de réseau. Le franchisé est beaucoup plus soutenu, beaucoup plus conseillé, et aidé dans son quotidien. Il y a un véritable service apporté, pour autant que le franchiseur ait su le vendre au bon prix.

 

De très gros progrès en termes d’animation de réseau

Dans la phase d’intégration, le franchiseur doit apporter un service permanent car il y a beaucoup de choses à apporter. Dans la période suivante, les franchisés roulent tout seuls. On va pouvoir desserrer le management, passer d’un contact hebdomadaire à un contact mensuel. Par contre, c’est là qu’est le danger. On finit par oublier la majorité de ses franchisés et passer 80 % de son temps avec 20% d’entre eux.

Le bon choix, c’est de changer d’optique. Le franchisé expérimenté n’a plus autant besoin d’être aidé et conseillé. Mais il faut que le franchiseur l’intègre dans les groupes de progrès pour qu’il se sente concerné par l’évolution du groupe tout entier.

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