Pourvoi: 08-17296

le 06 juillet 2009

Cour de cassation
chambre commerciale
Date de l'audience publique Audience publique du mardi 9 juin 2009
Numéro de pourvoi N° de pourvoi: 08-17296
N° de pourvoi: 08-17296
Non publié au bulletinRejet

Mme Favre (président), président
Me Blondel, Me Odent, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 18 mars 2008), statuant sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 23 janvier 2007, pourvoi n° 05-19.523), que par acte du 19 octobre 1995, la société Prodim a conclu avec M. et Mme X... un contrat de franchise concernant l'exploitation d'un fonds de commerce d'alimentation sous l'enseigne "Shopi", ainsi qu'un contrat d'approvisionnement pour une durée de cinq ans ; qu'en cours de contrat, la société X... est venue aux droits de M. et Mme X... et la société CSF a succédé à la société Prodim pour le contrat d'approvisionnement ; que le contrat de franchise prévoyait qu'en cas de vente du fonds de commerce, la société Prodim bénéficierait d'un droit de préférence ; que, par une lettre du 14 février 2000, M. et Mme X... ont informé la société Prodim qu'ils ne souhaitaient pas renouveler le contrat de franchise ; que, par une lettre du 11 août 2000, la société Prodim a indiqué à M. et Mme X... avoir "bien pris note de votre démission à la date anniversaire de notre contrat de franchise Shopi, soit le 18 octobre 2000" et elle ajoutait qu'il avait été convenu d'un commun accord "le report de votre démission au 28 février 2001" ; que, le 16 octobre 2000, M. et Mme X... ont répondu à la société Prodim qu'ils n'acceptaient pas de renouveler le contrat de franchise, ainsi que cela leur avait été proposé, et indiquaient qu'ils souhaitaient seulement bénéficier d'un approvisionnement temporaire ; que le 23 octobre 2000, la société Prodim a formé une proposition d'acquisition du fonds pour le prix de 2 600 000 francs ; que le 30 octobre 2000, la société Distribution Casino France (la société Casino) a établi une procuration à deux de ses préposés pour les habiliter à acquérir le fonds pour un prix de 2 100 000 francs ; que par acte d'huissier du 3 novembre 2000, la société Prodim a notifié à la société Casino les contrats de franchise et d'approvisionnement la liant, avec la société CSF, à la société X... ; que celle-ci ayant vendu, le 18 avril 2001, son fonds de commerce à la société Casino ; la société Prodim, soutenant que la société X... avait violé ses engagements contractuels, a engagé une procédure arbitrale à son encontre pour obtenir réparation de ses préjudices ; que par une sentence du 14 juin 2002, devenue définitive, le tribunal arbitral, estimant que les contrats de franchise et d'approvisionnement avaient été prorogés jusqu'au 28 février 2001, a condamné la société X... à dédommager la société Prodim des préjudices subis, d'une part, de leur rupture avant terme, d'autre part, de la violation du pacte de préférence consenti à la société Prodim ; qu'à la suite de cette sentence, les sociétés Prodim et CSF reprochant à la société Casino des actes de concurrence déloyale à leur égard en participant à la violation des contrats de franchise et d'approvisionnement et en désorganisant le réseau de franchise, l'ont poursuivie en dommages-intérêts ;

Attendu que les sociétés Prodim et CSF font grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande, alors, selon le moyen :

1°/ que le concurrent tiers complice de la violation d'un pacte de préférence souscrit par un franchisé au profit d'un franchiseur doit réparation à celui-ci ; qu'en l'espèce la cour d'appel qui, après avoir pourtant constaté que la société Casino avait acquis le fonds de commerce de la société X..., en toute connaissance du litige qui opposait celle-ci aux sociétés Prodim et CSF, relativement aux conditions abusives dans lesquelles les contrats en cours – dont la teneur précise avait été signifiée à la société Casino - avaient été rompus, a ensuite déchargé la concurrente de toute responsabilité au titre d'une tierce complicité dans la violation du pacte de préférence souscrit au profit de la société Prodim, motif pris de ce que la société Casino avait pu croire les contrats régulièrement rompus, a omis de tirer les conséquences légales qui s'induisaient de ses propres constatations au regard de l'article 1382 du code civil ;

2°/ qu'engage sa responsabilité à l'égard du franchiseur le concurrent tiers complice de la violation, par un franchisé, des obligations contractuelles que celui-ci avait souscrites ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui, après avoir pourtant relevé que la société Casino avait pris la décision, dès les mois d'octobre et novembre 2000, d'acquérir le fonds de commerce de la société X... en ayant une parfaite connaissance du contenu du pacte de préférence souscrit par celle-ci, de même que des contrats de franchise et d'approvisionnement en cours qui lui avaient été notifiés et du litige arbitral qui avait été engagé entre les parties, litige mentionné dans l'acte de cession du 18 avril 2001, sans en déduire que la société Casino avait, en connaissance de cause, participé à la violation, par la société X..., du pacte de préférence qu'elle avait souscrit et sur le respect duquel la société Casino aurait au moins dû se renseigner, a omis de tirer les conséquences légales qui s'induisaient de ses propres constatations au regard de l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant souverainement retenu que les sociétés Prodim et CSF ne démontraient pas que la société Casino aurait eu connaissance de l'intention de la société Prodim de faire usage de son droit de préférence, la cour d'appel, abstraction faite des motifs erronés critiqués à la première branche, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Prodim et CSF aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à la société Distribution Casino France la somme globale de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par Me Odent, avocat aux Conseils pour les sociétés Prodim et CSF.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté un franchiseur (la société PRODIM) et un approvisionneur prioritaire (la société CSF), de leur action tendant à la réparation, par une concurrente (la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE), de la tierce complicité dont cette dernière s'était rendue coupable, dans la violation du pacte de préférence qui avait été souscrit par un franchisé au profit du franchiseur,

AUX MOTIFS QUE constitue une faute délictuelle le fait de concourir sciemment à la violation d'une obligation contractuelle à l'égard d'un tiers, ou d'en tirer sciemment profit ; que le contrat de franchise prévoyait au profit du franchiseur un droit de préférence en cas de vente du fonds de commerce, aux termes duquel le franchisé était tenu d'informer par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception, le franchiseur de tout projet de vente, en donnant tous renseignements sur le successeur pressenti, le franchiseur disposant d'un délai de trois mois pour faire jouer ou non son pacte de préférence, à offre égale ; que Monsieur et Madame X... avaient informé la société PRODIM, le 14 février 2000, de leur intention de vendre leur fonds ; que les échanges subséquents ne démontraient ni l'existence d'une notification par la franchisée au franchiseur du projet de cession au profit de la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE, selon les modalités fixées par le contrat, ni celle d'une proposition de la société PRODIM antérieure à celle qu'elle avait formée le 23 octobre 2000, pour un prix de 2.600.000 F ; qu'au regard de l'absence de notification officielle du projet de cession à la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE, l'offre faite par la société PRODIM à cette date ne pouvait être considérée comme tardive ; que, le 30 octobre 2000, la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE avait établi, au profit de deux de ses cadres, une procuration à l'effet de les habiliter à acquérir le fonds de commerce de la société X..., moyennant le prix de 2.100.000 F (l'activité de boucherie étant reprise de façon distincte pour 500.000 F) ; que, par acte d'huissier du 3 novembre 2000, la société PRODIM avait signifié à la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE les contrats de franchise et d'approvisionnement la liant, avec la société CSF, à la société X... ; que la cession du fonds au profit de la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE avait été faite par acte du 18 avril 2001, ce dernier reprenant les termes exacts du courrier initial de rupture de Monsieur et Madame X... du 14 février 2000, et précisant l'existence du litige avec la société PRODIM sur la dénonciation des contrats ; qu'il était ainsi prouvé que, dès fin octobre début novembre 2000, la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE avait pris la décision d'acquérir le fonds et, d'autre part, connaissait l'existence et le contenu du pacte de préférence ; qu'il était également démontré que son cocontractant considérait le contrat de franchise comme rompu et lui en avait justifié ; qu'en revanche, il n'était pas établi qu'elle connaissait la teneur exacte du litige entre la société cédante et la société PRODIM, puisque, d'une part, rien ne prouvait qu'elle avait eu connaissance notamment du contenu intégral du courrier du 11 août 2000 et des échanges qui l'avaient suivi, et que, d'autre part, l'acte de cession ne mentionnait qu'en termes généraux le litige relatif au caractère abusif de la rupture des contrats, sans autre précision, notamment relative à une demande au titre du pacte de préférence ; qu'il n'était pas davantage prouvé qu'elle connaissait l'offre de la société PRODIM à ce titre, cette dernière société s'étant bien gardée d'en faire état dans sa sommation du 3 novembre 2000 ; que le contexte de concurrence entre les deux entreprises ne permettait par ailleurs pas de suppléer un élément de preuve objectif sur ces points ; que, pouvant, au contraire, légitimement considérer que le contrat de franchise était rompu, au regard des éléments portés à sa connaissance, étant rappelé que la sentence arbitrale avait été rendue bien plus tard, alors surtout qu'aucune précision ne figurait au contrat sur la survivance du droit de préférence postérieurement à l'expiration de ce dernier, la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE avait légitimement pu, sans commettre de faute, acquérir le fonds ; qu'en outre, faute de démonstration que la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE avait été en mesure d'apprécier l'incidence de l'instance arbitrale en cours sur la liberté contractuelle de la société cédante, l'acquisition du fonds sans attendre l'issue de la procédure arbitrale n'excédait pas une prise de risque normale dans la vie des affaires, et ne pouvait davantage être considérée comme une imprudence ; que n'était ainsi pas démontrée par les sociétés PRODIM et CSF, auxquelles cette preuve incombait, l'existence d'aucune faute imputable à la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE dans le cadre de l'acquisition du fonds de la société X... ;

ALORS QUE, d'une part, le concurrent tiers complice de la violation d'un pacte de préférence souscrit par un franchisé au profit d'un franchiseur doit réparation à celui-ci ; qu'en l'espèce, la cour qui, après avoir pourtant constaté que la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE avait acquis le fonds de commerce de la société X..., en toute connaissance du litige qui opposait celle-ci aux sociétés PRODIM et CSF, relativement aux conditions abusives dans lesquelles les contrats en cours – dont la teneur précise avait été signifiée à la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE - avaient été rompus, a ensuite déchargé la concurrente de toute responsabilité au titre d'une tierce complicité dans la violation du pacte de préférence souscrit au profit de la société PRODIM, motif pris de ce que la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE avait pu croire les contrats régulièrement rompus, a omis de tirer les conséquences légales qui s'induisaient de ses propres constatations au regard de l'article 1382 du code civil ;

ALORS QUE, d'autre part, engage sa responsabilité à l'égard du franchiseur le concurrent tiers complice de la violation, par un franchisé, des obligations contractuelles que celui-ci avait souscrites ; qu'en l'espèce, la cour qui, après avoir pourtant relevé que la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE avait pris la décision, dès les mois d'octobre et novembre 2000, d'acquérir le fonds de commerce de la société X... en ayant une parfaite connaissance du contenu du pacte de préférence souscrit par celle-ci, de même que des contrats de franchise et d'approvisionnement en cours qui lui avaient été notifiés et du litige arbitral qui avait été engagé entre les parties (litige mentionné dans l'acte de cession du 18 avril 2001), sans en déduire que la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE avait, en connaissance de cause, participé à la violation, par la société X..., du pacte de préférence qu'elle avait souscrit et sur le respect duquel la concurrente aurait au moins dû se renseigner, a omis de tirer les conséquences légales qui s'induisaient de ses propres constatations au regard de l'article 1382 du code civil.

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes du 18 mars 2008

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