Pourvoi 08-14301

le 18 novembre 2009

Cour de cassation
chambre commerciale
Audience publique du mardi 9 juin 2009
N° de pourvoi: 08-14301
Non publié au bulletin Cassation partielle sans renvoi

Mme Favre (président), président
Me Odent, SCP Richard, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 22 mars 1996, la société Perrosdis (le franchisé) a conclu avec la société Distribution Casino France (le franchiseur) un contrat de franchise d'une durée de sept ans pour l'exploitation d'un fonds de commerce sous l'enseigne "Casino" ; qu'à l'issue de ce contrat, le franchiseur a assigné le franchisé en paiement de diverses sommes à titre, notamment, de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence post-contractuelle qu'il avait souscrite, aux termes de laquelle le franchisé s'engageait, pendant un an et sur un rayon de 30 kilomètres autour du supermarché, d'une part, à ne pas exploiter ou participer d'une quelconque manière, directement ou par personne interposée, à l'exploitation, la gestion, l'administration, le contrôle d'un fonds de commerce ou d'une entreprise ayant une activité identique ou similaire à l'unité en franchise, et d'autre part, à ne pas s'affilier, adhérer, participer de quelque manière que ce soit à une chaîne concurrente du franchiseur, en créer une lui-même, ou, plus généralement, se lier à tout groupement ou organisme ou entreprise concurrente du franchiseur ;

Sur la recevabilité du moyen unique, pris en sa première branche, contestée par la défense :

Attendu que le franchiseur soutient que le moyen est nouveau et, mélangé de fait et de droit, et partant irrecevable ;

Mais attendu que le moyen n'est pas nouveau, dès lors que le franchisé contestait devant la cour d'appel la validité de la clause litigieuse au regard du droit communautaire ;

Et sur cette première branche du moyen :

Vu l'article 5 b) du règlement CE n° 2790/1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées ;

Attendu que, pour déclarer valide la clause litigieuse, l'arrêt constate qu'elle est limitée à une année et à un rayon de 30 kms autour du point de vente ; qu'il relève que le franchisé a reçu du franchiseur les manuels de normes et les plans d'implantation du magasin, a bénéficié d'une formation selon un plan de stage et s'est vu mettre à disposition un outil informatique et les prestations de services afférentes, de sorte qu'il a bénéficié de la transmission d'un savoir-faire ; qu'il relève encore que le franchisé a bénéficié d'une enseigne de renommée nationale, bien identifiée et attractive pour la clientèle ; qu'il en déduit que le franchiseur a un intérêt légitime à se donner le temps, après la cessation du contrat de franchise, sans être gêné par l'activité de son franchisé usant du savoir-faire acquis auprès d'elle, de réimplanter son enseigne, ou à son choix une autre enseigne du groupe, sur une surface équivalente, ici de 740 mètres carrés, dans la zone de chalandise, de sorte que la clause litigieuse se trouve proportionnée ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le bénéfice de l'exemption prévue à l'article 5 b) du règlement 2790/1999 en faveur des clauses de non-concurrence post-contractuelles est réservé uniquement à celles, d'une durée d'un an, qui sont limitées aux locaux et aux terrains à partir desquels celui qui l'a souscrite a opéré pendant la durée du contrat et qui sont indispensables à la protection du savoir-faire qui lui a été transféré par son cocontractant, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 1134 du code civil ;

Attendant qu'en statuant par les mêmes motifs que ceux critiqués par la première branche, lesquels sont impropres à caractériser la limitation géographique de la clause litigieuse et sa proportionnalité par rapport aux intérêts légitimes du franchiseur au regard de l'objet du contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré valable la clause de non-concurrence et condamné la société Perrosdis à payer à la société Distribution Casino France la somme de 119 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de cette clause, l'arrêt rendu le l'arrêt rendu le 7 février 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Rejette la demande de la société Distribution Casino France au titre de la clause de non-concurrence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne la société Distribution Casino France aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la société Perrosdis la somme de 2 500 euros et rejette sa demande ;

Vu l'article R. 470-2 du code de commerce, dit que sur les diligences du directeur de greffe de la Cour de cassation, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception, à la Commission européenne, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'économie, des finances et de l'emploi ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par Me Odent, avocat aux Conseils pour la société Perrosdis.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné une franchisée (la société PERROSDIS) à dédommager un franchiseur (la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE) des conséquences de la violation d'une clause de non-concurrence post-contractuelle, pourtant illicite ;

AUX MOTIFS QU'en droit communautaire et en droit interne, une clause de non-concurrence peut être déclarée valable, à condition d'être limitée dans le temps et dans l'espace, et d'être proportionnée par rapport à l'objet du contrat ; qu'en l'espèce, le contrat de franchise stipulait, en son article XIII B) que : « A la cessation du présent contrat, pour quelque cause que ce soit, le franchisé s'interdit : - d'exploiter ou de participer d'une quelconque manière, directement ou par personne interposée, à l'exploitation, la gestion, l'administration, le contrôle d'un fonds de commerce ou d'une entreprise ayant une activité identique ou similaire, à l'unité en franchise CASINO ; - de s'affilier, d'adhérer ou de participer de quelque manière que ce soit à une chaîne concurrente du franchiseur ou d'en créer une lui-même et, plus généralement, de se lier à tout groupement ou organisme ou entreprise concurrente du franchiseur. Cette interdiction est valable pendant un an dans un rayon de 30 km autour du supermarché… » ; que la clause était donc limitée dans le temps ou dans l'espace ; que, quant à sa proportionnalité par rapport à l'objet du contrat et à la sauvegarde des intérêts de la société CASINO, selon les éléments non contestés du dossier, la société PERROSDIS avait acquis le fonds de commerce de la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE, après l'avoir exploité deux ans en location-gérance, et avait continué à l'exploiter dans le cadre du contrat de franchise signé le 22 mars 1996 ; qu'elle avait alors reçu du franchiseur les manuels de normes et les plans d'implantation du magasin et avait bénéficié d'une formation selon un plan de stage ; que, de plus, en 1997, elle s'était vu mettre à disposition un outil informatique et les prestations de services afférentes ; qu'elle avait donc bénéficié de la transmission d'un savoir-faire dont elle ne soutenait pas qu'elle le possédait, ne serait-ce que partiellement, avant de signer le contrat de location-gérance et le contrat de franchise ; qu'ensuite, elle avait bénéficié d'une enseigne de renommée nationale, bien identifiée et attractive pour la clientèle ; que la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE avait donc un intérêt légitime à se donner le temps après la cessation du contrat de franchise, sans être gênée par l'activité de son franchisé usant du savoir-faire acquis auprès d'elle, de réimplanter son enseigne, ou à son choix une autre enseigne du Groupe, sur une surface équivalente, ici de 740 m², dans la zone de chalandise ; que la clause litigieuse, limitée à une année et à un rayon de 30 km autour du point de vente, se trouvait proportionnée à cet intérêt ; qu'il était constant que la société PERROSDIS avait violé cette clause en poursuivant une activité identique après le 22 mars 2003, peu important l'enseigne et le mode d'approvisionnement ;

1°/ ALORS QUE ne bénéficie d'aucune exemption la clause de non-concurrence post-contractuelle qui vise exclusivement à protéger un territoire et à assurer la reconstruction locale du réseau du franchiseur ; qu'en l'espèce, la cour, qui a validé la clause de non-concurrence en cause, en constatant qu'elle était limitée dans le temps et dans l'espace et permettait à la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE de satisfaire son intérêt légitime à se donner du temps pour réimplanter son enseigne, quand ne bénéficie d'aucune exemption la clause de non-concurrence post-contractuelle interdisant tout rétablissement du franchisé dans une activité identique, qui vise à protéger un territoire (30 km en l'espèce) et à assurer la reconstruction locale du réseau du franchiseur, a violé l'article 5 b) du règlement communautaire du 22 décembre 1999 ;

2°/ ALORS QU'une clause de non-concurrence post-contractuelle n'est ni limitée, ni proportionnée lorsqu'elle interdit purement et simplement à un commerçant de se rétablir dans son activité ; qu'en l'espèce, la cour, qui a déclaré valable la clause de non-concurrence post-contractuelle stipulée à l'article XIII B) du contrat de franchise conclu avec la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE, quand elle aboutissait purement et simplement à interdire à la société PERROSDIS de se rétablir dans son fonds de commerce pendant un an, a violé l'article 1134 du code civil.

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon du 7 février 2008

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