Les clauses de non-concurrence ont-elles un avenir ?

le 01 janvier 2005 / Monique Ben Soussen, avocat à la cour

La clause de non-concurrence est celle qui interdit, à un salarié ou un commerçant, la poursuite de la même activité à l’expiration du contrat. Cette clause se rencontre aujourd’hui donc dans des contrats de travail, ou dans des contrats de coopération commerciale (franchise, commission-affiliation etc.).

A l’origine, la clause de non-concurrence avait pour but d’éviter qu’un salarié n’utilise dans une entreprise concurrente des informations collectées chez son premier employeur. Cette clause a eu son heure de gloire avant que la Chambre sociale de la Cour de Cassation ne décide qu’une telle clause était nulle lorsqu’une contrepartie financière n’était pas prévue et effectivement versée. Cette jurisprudence entraîna la chute de nombre de clauses de non-concurrence insérées dans des contrats de travail.

Une clause aux effets parfois dévastateurs

Cette position de la juridiction suprême traduit probablement une méfiance des juges devant des clauses dont les effets sont parfois dévastateurs : le fait d’interdire à un ancien partenaire ou salarié d’exercer son métier place celui-ci dans une situation économique difficile.

La réticence des juges devant ces clauses se manifeste aussi dans le cadre des relations commerciales telles que la franchise : le commerçant franchisé, propriétaire de son fonds de commerce, qui se voit imposer une telle clause doit envisager une reconversion, qui peut être problématique, ne serait-ce qu’au regard du bailleur qui peut s’opposer à un changement d’activité. Les répercussions de cette clause s’apparentent à un suicide professionnel et financier.

La protection du savoir faire, argument bien commode

Les franchiseurs justifient ces clauses en arguant de la nécessité de protéger leur savoir faire, celui-ci étant l’objet permanent du désir de leurs concurrents. En réalité ce raisonnement n’est guère convaincant et ce pour plusieurs raisons : l’intérêt réel des franchisés pour un réseau ne tient pas tant au savoir faire mais le plus souvent à la notoriété de l’enseigne, élément permettant de capter la clientèle. De surcroît, le savoir faire est censé être en perpétuelle évolution ce qui devrait rendre inutile l’insertion d’une telle clause. On constate donc une contradiction certaine dans la position des franchiseurs qui vantent l’originalité de leur savoir faire et en même temps jugent nécessaire d’imposer à leurs franchisés des clauses dont la finalité est de leur interdire d’utiliser ce fameux savoir faire.

La tentation est grande pour les rédacteurs de contrats de faire plaisir à leurs clients en insérant des clauses censées les protéger mais dont les effets excessifs contraignent, in fine, à une remise en cause de la validité de la clause, voire du contrat lui-même. Des franchisés n’ont parfois d’autre solution, pour continuer à exploiter leur fonds de commerce, que d’intenter une action judiciaire afin d’obtenir l’annulation d’une clause de non-concurrence.

Deux décisions ont été rendues, à quelques semaines d’intervalle, par deux cours d’appel différentes, au sujet de clauses de non-concurrence insérées dans des contrats de franchise concernant le secteur de la distribution alimentaire.

Non affiliation plutôt que non concurrence ? Ce n’est pas forcément mieux !

La première a été rendue le 29 septembre 2005 et concerne le contrat liant la société Prodim à l’un de ses franchisés qui appartenait au réseau Shopi. La convention contenait, non pas une clause de non-concurrence, mais une clause de non-affiliation ; la clause de non-affiliation est en principe moins contraignante qu’une clause de non-concurrence dans la mesure où elle n’interdit pas la poursuite de l’activité mais proscrit le ralliement à un nouveau réseau. Le commerçant est donc censé poursuivre l’exploitation mais sous sa propre enseigne. Les clauses de non-affiliation encourent des critiques moins sévères que les clauses de non-concurrence dans la mesure où elles permettent la poursuite de l’activité. Les magistrats de la Cour d’Appel de Caen ont estimé qu’il convenait de rechercher si les conditions d’exploitation découlant du respect de la clause de non-affiliation permettaient à l’ancien franchisé d’exploiter dans des conditions économiquement satisfaisantes. Les magistrats se sont livrés à un examen concret du fonctionnement des réseaux de distribution alimentaire et ont constaté que “l’utilisation d’une enseigne de renommée nationale ou régionale et la vente de marchandises liées à cette enseigne est le fait de la quasi-totalité des commerces du type de celui qu’exploitaient les époux Batard sous l’enseigne Shopi”.

La Cour a été convaincue de la nécessité d’une telle enseigne pour exploiter dans des conditions de rentabilité satisfaisantes. Le fait d’interdire l’insertion dans un réseau a permis aux magistrats d’assimiler la clause de non-affiliation à une clause de non concurrence. Or la validité d’une clause de non-concurrence n’est admise que lorsque la clause est nécessaire au maintien de l’identité commune ou la réputation du réseau, ce qui implique qu’elle soit indispensable à la protection du savoir faire. La Cour a estimé que la société Prodim ne prouvait pas détenir un savoir faire spécifique, original et substantiel, qui devrait être distinct des techniques commerciales et administratives communément admises. La Cour conclut son arrêt en écrivant que le savoir faire allégué par Prodim n’est pas suffisamment original pour justifier une clause de non-affiliation et que le but réel de cette clause est de dissuader l’ancien partenaire de quitter le réseau. La Cour de Caen a annulé la clause de non-affiliation.

Prodim et Casino épinglés

Mais Prodim n’est pas seule à se faire réprimander par les magistrats. Le réseau Casino a également vu son contrat critiqué par la Cour d’Appel de Lyon dans un arrêt du 10 novembre 2005. Un franchisé Eco Service, enseigne rachetée par Casino à Auchan dans le courant de l’année 2000, n’était pas satisfait des prestations fournies par son franchiseur. Il a donc pris l’initiative de rompre le contrat, ce qui a été contesté par le franchiseur. Casino a assigné le franchisé afin d’obtenir des dommages et intérêts du fait de la violation de la clause de non-concurrence. Là encore la clause critiquée autorisait le franchisé à poursuivre l’activité mais à condition de ne pas adhérer à un réseau national ou régional ; le franchisé pouvant théoriquement s’approvisionner sur le marché de gros. La Cour de Lyon, comme l’avait fait la Cour de Caen, a estimé que cette clause avait des conséquences excessives dans la mesure où elle interdisait en réalité au franchisé de s’approvisionner dans des conditions financières lui permettant d’avoir une activité pérenne. Le monde de la distribution alimentaire est si concentré qu’il est aujourd’hui impossible d’obtenir des tarifs intéressants si on ne peut passer par une centrale nationale. L’organisation actuelle de la distribution alimentaire hexagonale rend illusoire la possibilité de travailler sans adhérer à un réseau. La Cour de Lyon a estimé que la clause de non-affiliation insérée dans le contrat Eco Service devait être annulée car ayant un objet trop général quant à l’exercice de l’activité elle-même.

Les juges veillent à l’équilibre économique

Ces deux décisions montrent la volonté des juges de ne pas se limiter à une approche juridique mais de vérifier la compatibilité des clauses avec l’environnement économique.

Trop de contrats de franchise contiennent des stipulations complexes dont la mise en place aboutit souvent à placer le franchisé dans une situation inextricable : propriétaire de son fonds, il est néanmoins contraint de suivre la politique de prix de son fournisseur, ne peut vendre son fonds sans l’accord du franchiseur et ne peut changer d’activité sans l’accord du bailleur ! Le franchisé se transforme en un bailleur de fonds devant initier la stratégie du franchiseur et assumer les risques financiers de l’opération.

Et, comble de l’ironie, la clause de non-concurrence peut lui interdire d’exploiter son fonds, acquis avec ses deniers, à ses risques, sous le prétexte de protéger le savoir faire du franchiseur ! Mais qui s’inquiète du savoir faire et des efforts fournis par le franchisé dans l’intérêt du franchiseur et du réseau ?

Que fait-on du savoir faire du franchisé ?

Les magistrats réagissent et sanctionnent les clauses dont les effets sont excessifs. La recherche de l’équilibre économique, que nous constatons à la lecture des deux arrêts cités, s’accompagne souvent d’une recherche d’équité. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette tendance qui aura peut-être pour conséquence indirecte de ramener les rédacteurs de contrats à plus de modération. Souvenons nous que ce qui se conçoit clairement s’énonce simplement et qu’un bon contrat est un contrat équilibré.

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