Pour une contrepartie financière à la clause de non-concurrence

le 02 novembre 2006 / Sophie Bienenstock

La clause de non concurrence, en vertu de laquelle le franchiseur s’engage à ne pas exercer une activité concurrente après l’expiration du contrat est aujourd’hui monnaie courante en matière de franchise. Pour être valable, une telle clause doit être limitée dans le temps, dans l’espace, indispensable à la protection des intérêts légitimes du franchiseur, et ne doit pas aboutir à interdire l’exercice d’une activité professionnelle.

Ces critères, progressivement établis par la jurisprudence au fil des années, sont identiques à ceux retenus en droit du travail… à un détail près : en matière de franchise, la clause de non-concurrence n’est pas subordonnée à l’existence d’une contrepartie financière, alors que depuis 2002, la Cour de Cassation estime qu’une telle clause insérée dans un contrat de travail « n’est licite […] que si elle comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière ». Ce revirement de jurisprudence, attendu aussi bien par les travailleurs que par les juristes, s’explique par différentes raisons qui laissent espérer une évolution semblable en matière de franchise. Il est d’autant plus urgent d’instaurer une contrepartie financière aux clauses de non concurrence que les conséquences d’une telle clause sont catastrophiques pour le franchisé, qui a investi dans le fonds de commerce… et ne peut exercer son métier !

1.  Bref historique de la clause de non-concurrence

En droit du travail français, à la différence de nombreux pays européens, dont par exemple l’Allemagne, les clauses de non-concurrence ne sont pas régies par des textes législatifs : ce sont les conventions collectives ou les contrats qui en fixent les modalités d’exécutions, et la jurisprudence qui en détermine les conditions de validité.

Comment concilier une clause de non-concurrence avec la liberté de travailler ?

La liberté de  travailler est garantie par la loi des 2-17 mars 1791, d’après laquelle  « il sera libre à toute personne de faire tel négoce, ou d'exercer telle profession art ou métier qu'elle trouvera bon ». Et pourtant, les clauses de non-concurrence, qui interdisent à un travailleur d’exercer son activité dans le même secteur à l’expiration de son contrat de travail, sont licites. En interdisant au travailleur d’exercer une activité professionnelle dans le secteur où il est le plus productif, la clause de non-concurrence soulève de vives critiques chez les juristes, aussi bien que chez les économistes.

Du point de vue juridique, l’interdiction absolue d’exercer une activité professionnelle, quand bien même elle serait limitée dans le temps et l’espace, est en contradiction avec le principe constitutionnel de la liberté de travailler. A cet argument, on pourra certes répondre que le travailleur a consenti à cette clause restrictive de liberté. Mais on doit s’interroger sur les conditions dans lesquelles ce consentement est donné !

D’un point de vue économique, ou plus modestement, avec un peu de bon sens, il semble aberrant qu’un travailleur ne puisse pas exercer dans le domaine où il est le plus productif. Or la clause de non concurrence interdit au salarié ou au commerçant d’exercer dans le secteur qu’il maîtrise …quitte à le contraindre à l’inactivité. D’un point de vue social et économique l’impact négatif de cette clause est évident.

La Cour de cassation a pris conscience de la nécessité d’encadrer le recours aux clauses de non concurrence dans les contrats de travail. Sa position actuelle nous laisse espérer qu’elle évoluera également pour les clauses insérées dans des contrats commerciaux comme les contrats de franchise.

2. L’évolution de la jurisprudence

Un impératif de légitimité

Jusqu’au début des années 1990, les clauses de non-concurrence étaient en principe valables, c'est-à-dire que l’employeur n’avait pas à prouver leur licéité. En 1992, la Cour de cassation exige pour la première fois que la clause « soit indispensable à la protection des intérêt légitimes de l’employeur ». Ce revirement de jurisprudence s’est  accompagné d’une nouvelle loi insérée dans le Code du travail le 31 décembre 1992, en vertu de laquelle : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. » (Art. L120-2)

L’exigence d’une contrepartie financière

Le 10 juillet 2002 : revirement de la juridiction suprême. La chambre sociale de la cour de cassation, en contradiction totale avec un siècle d’arrêts, annonce soudainement qu’une « clause de non concurrence n’est licite que si […] elle comporte pour l’employeur l’obligation de verser au salarié une contrepartie financière » !

Malgré une apparente trivialité, il convient d’insister sur le fait que « l’indemnité de non concurrence a pour cause l’obligation de non-concurrence », comme l’explique la Cour de cassation. Cette affirmation peut paraître tautologique, mais il faut en tirer toutes les conséquences : le salarié n’a pas à prouver un quelconque préjudice du fait de l’application de la cause. La contrepartie financière ne s’apparente nullement à des dommages et intérêts, et elle doit être versée, indépendamment de l’éventuel responsabilité d’une partie dans la rupture du contrat. Ainsi la somme doit être versée, en générale mensuellement, en fonction du salaire perçu pendant l’exécution du contrat.

Depuis 2002, la situation des salariés, au regard des clauses de non concurrence s’est améliorée : soit la clause est nulle, soit il y a une contrepartie financière.

Malheureusement la situation reste à améliorer pour les franchisés :

3.  Les conséquences désastreuses des clauses de non-concurrence dans les contrats de franchise

Comment comprendre que le salarié bénéficie d’une contrepartie financière, alors que le franchisé n’y a pas droit ? Cette situation est réellement paradoxale, dans la mesure où la clause de non-concurrence a souvent des conséquences financières  plus graves pour le franchisé que pour le salarié.

Le préjudice particulier des franchisés soumis à une clause de non-concurrence

Au delà des difficultés engendrées par toutes les clauses de non concurrence, le franchisé subit un préjudice particulier, du fait de la nature même de son activité :

  • Le franchisé, à la différence du salarié, a investi dans son fonds de commerce, il a versé un droit d’entrée au franchiseur, et s’est le plus souvent endetté pour financer l’achat du fonds de commerce. Lors de la rupture du contrat, le franchisé ne peut pas exploiter son fonds de commerce, au nom de la clause de non-concurrence.
  • Les défenseurs de ces clauses soutiennent que le franchisé peut alors changer de secteur d’activité. En réalité, il ne peut pas facilement se reconvertir, car le contrat de bail est souvent très restrictif. Le franchisé se trouve alors coincé entre le contrat de franchise d’un côté, et le contrat de bail de l’autre, si bien qu’il ne peut pas exploiter son fonds de commerce.
  • La solution consiste elle alors à vendre le fonds de commerce, mais à condition toutefois que celui-ci ait encore une valeur dans l’enseigne. En réalité le retrait de l’enseigne entraîne souvent une diminution de la valeur du fonds et le franchisé est alors contraint de céder son droit au bail.
  • Dans l’hypothèse, assez rare, où le franchisé peut se reconvertir et continuer à exploiter son fonds de commerce, le préjudice subi n’est malgré tout pas négligeable : une telle reconversion nécessite d’acquérir à nouveau un savoir faire, de réaménager les locaux, de trouver de nouveaux clients… Cette opération implique toujours de nouveaux investissements, et de nombreux efforts, sans aucune garantie de succès.
  • Le problème de la clientèle est d’ailleurs un aspect essentiel du contrat de franchise, et en particulier lorsqu’il est assorti d’une clause de non-concurrence. La question est de  savoir à qui, du franchisé ou du franchiseur, appartient la clientèle. Cette question a été posée dans le cadre des relations franchisé/bailleur, certains bailleurs ayant eu l’idée de soutenir que le franchisé n’était pas propriétaire de la clientèle, et ce afin de contester son droit au renouvellement du bail, La jurisprudence estime que la clientèle appartient au franchisé, celui-ci ayant effectué des investissements conséquents pour l’attacher au fonds de commerce.
  • Cette analyse a le mérite de permettre au franchisé de bénéficier du statut protecteur des baux commerciaux mais elle peut être discutée : dans la mesure où le contrat de franchise repose sur l’utilisation d’une enseigne et la transmission d’un savoir faire propre à une marque, on pourrait également considérer que la clientèle est fidèle au réseau. En réalité la réponse pouvant être apportée à cette question variera en fonction du produit commercialisé et du secteur d’activité.
  • Quoi qu’il en soit, en l’état actuel de la législation et de la jurisprudence, personne ne conteste officiellement que le franchisé, qui assume le risque financier est bien propriétaire de la clientèle attaché au fonds de commerce. Or la fameuse clause de non concurrence peut permettre à un franchiseur mal intentionné de récupérer la clientèle d’un franchisé sans se porter acquéreur du fonds de celui-ci en fin de contrat. IL suffit d’interdire au franchisé de lui faire concurrence dans un périmètre restreint. Si le souci du franchiseur est légitime, rien ne justifie que le franchisé lui offre généreusement sa clientèle.

La nécessité d’instaurer une contrepartie financière

Il apparaît à présent pour le moins légitime que le franchisé perçoive une contrepartie financière à la clause de non-concurrence, et ce pour les nombreuses raisons évoquées ci-dessus. Quelle serait alors la nature de cette contrepartie ?

  • Par analogie avec le droit du travail, la contrepartie financière s’analyse avant tout comme la contrepartie contractuelle de l’obligation de non concurrence. L’exigence pour le franchiseur de verser une somme au franchisé pendant toute la durée de validité de la clause ne serait que la traduction du principe fondamental qui régit le droit des contrats : toutes les obligations doivent nécessairement avoir une cause, sans quoi l’obligation est nulle. En l’espèce, l’obligation de non-concurrence du franchisé est dépourvue de cause, si elle n’est pas assortie d’une contrepartie financière. C’est d’ailleurs un raisonnement semblable qui a conduit la Cour de Cassation à exiger une contrepartie financière aux clauses de non-concurrence insérée dans les contrats de travail.

  • Comme nous l’avons vu, les restrictions contenues dans le contrat de franchise quant à l’acquéreur du fonds de commerce peuvent entraîner une perte de valeur de ce fonds. Le franchisé qui souhaite vendre son fonds de commerce subit alors un préjudice, lié au cumul des clauses de non-concurrence, de préemption et d’agrément : il dispose d’un fonds de commerce qu’il ne peut exploiter lui-même, qu’il peut vendre difficilement. La contrepartie financière pourrait alors s’apparenter à des dommages et intérêt, en réparations du préjudice subi par le franchisé.

  • Enfin, par le biais de la clause de non concurrence, le franchiseur peut récupérer la clientèle créée par le franchisé : cette clientèle a une valeur et celle-ci doit se traduire dans la compensation financière qui devrait être versée au commerçant qui est contraint de se déposséder.

En conclusion nous devons espérer que la cour de cassation, tant pour des raisons juridiques qu’économiques soumettra la validité des clauses de non concurrence dans les contrats de franchise à l’octroi d’une contrepartie financière.

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