Fonds de commerce : Quelle indépendance pour le franchisé ?

le 10 janvier 2006

“Le franchisé est un commerçant indépendant” est une litanie que tous les professionnels de la franchise connaissent soit pour l’avoir entendue, soit pour l’avoir assénée. Mais que recouvre cette affirmation ?

Il est exact qu’au strict niveau juridique, le franchisé exerce soit sous son nom propre soit par l’intermédiaire d’une société commerciale. Mais ce mode d’exercice, apparemment fondé sur l’indépendance, suffit-il à assurer l’indépendance du franchisé ? La véritable question concerne donc l’indépendance économique du franchisé. La franchise est un système séduisant dans lequel le franchisé est censé bénéficier du savoir faire du franchiseur, celui-ci ayant en principe testé et exploité lui-même ce savoir faire avant de le commercialiser.

Une mise sous tutelle organisée par contrat

Mais la transmission de ce savoir faire, dans le cadre de l’exécution du contrat, s’accompagne de diverses mesures visant à limiter considérablement la marge de liberté du franchisé. Le contrat est le premier outil utilisé par le franchiseur pour rogner la liberté de son partenaire en organisant juridiquement sa mise sous tutelle. La raison officielle est la nécessaire protection du savoir faire du franchiseur qui justifie l’insertion de clauses draconiennes dont certaines méritent d’être évoquées :

  • moult contrats exigent du franchisé qu’il n’ait pas d’autre activité commerciale et n’exploite pas d’autre point de vente que celui faisant l’objet du contrat de franchise ; le franchisé est ainsi ramené à l’état de commerçant infantile incapable de gérer deux fonds ou d’assumer deux activités distinctes. La seule raison justifiant, logiquement, cette clause, est la volonté du franchiseur de maintenir le franchisé dans un état de dépendance, ne lui autorisant qu’une réussite limitée, celle du fonds de commerce objet du contrat.

  • nombreux sont les contrats qui contiennent une clause de non concurrence en fin de contrat qui interdit purement et simplement au franchisé d’exploiter son fonds de commerce pendant une durée d’une année à l’issue des relations contractuelles. Là encore la nécessaire protection du savoir faire du franchiseur est avancée comme justificatif. En réalité, et sans s’appesantir sur la légalité contestée de cette clause, le but est de limiter les possibilités pour le franchisé de se libérer du contrat de franchise. Comment rompre le contrat s’il n’est pas possible de continuer à exploiter son fonds ? Que faire de celui-ci ? Et comment vivre pendant cette durée d’une année présentée comme raisonnable par certains ?

  • les rédacteurs de contrats jonglent ensuite avec les clauses de préemption, les clauses d’agrément et les pactes d’actionnaires. Cet arsenal juridique a été conçu pour gérer les relations existant entre des structures importantes. Le placage de ces règles aux contrats de franchise apparaît artificiel et injustifié mais il reste valable juridiquement. Les franchisés se trouvent alors coincés entre la clause d’agrément qui les oblige à obtenir l’accord du franchiseur s’ils trouvent un acquéreur pour leur fonds, la clause de préemption qui autorise le franchiseur à se substituer à l’acquéreur éventuel et enfin parfois les pactes d’actionnaires. La clause de préemption ralentit toute cession dans la mesure où les délais offerts au franchiseur pour se décider sont un obstacle à la rapidité des affaires.

L’ultime perversion du système de franchise

- les pactes d’actionnaires constituent l’ultime perversion du système de la franchise. Conçu à l’origine pour permettre aux porteurs de parts d’une société de se racheter entre eux leurs parts alors que les statuts interdisent généralement les cessions à des tiers, le pacte est aujourd’hui utilisé par le franchiseur pour coincer officiellement et totalement le franchisé. Ces pactes se rencontrent surtout dans le secteur de la distribution alimentaire. Le franchiseur, sous couvert de partenariat, exige lors de la création de la société franchisée de posséder un pourcentage variable des parts de celle-ci. Les principes gouvernant les modalités de fixation du prix sont généralement déterminés dans les grandes lignes, en fonction des usages alors en vigueur dans le réseau en cause. Le franchisé, quelques années après avoir signé le contrat est confronté à cette clause qui a vocation à s’appliquer quel que soit la situation du marché. La justification donnée par les franchiseurs est la volonté de conserver leurs parts de marché, ou plus exactement celles détenues par le franchisé qui a investi, tout en supprimant l’aléa au niveau du prix. Ainsi la liberté du franchisé est limitée par ces diverses clauses qui organisent en réalité, sous couvert de juridisme, la dépendance économique du franchisé. Celui-ci ne peut vendre à l’acquéreur de son choix, ne peut poursuivre l’exploitation seul à l’issue du contrat et s’est parfois engagé à vendre au franchiseur à des conditions définies dans leurs grands principes mais à un prix en réalité inconnu pour lui. Alors dans ces conditions se pose la vraie question qui est celle de la valeur du fonds de commerce crée et exploité pendant des années par le franchisé qui a assumé le risque financier.

Le fonds a-t-il encore une valeur propre ?

La réponse à cette question est particulièrement complexe. Il est cependant clair que le franchisé n’est pas libre de déterminer seul la valeur de ce fonds en fonction de l’état du marché. Il est très largement dépendant du franchiseur pour la recherche et le choix de l’acquéreur ainsi que pour la détermination du prix. La situation varie ensuite en fonction de divers critères : étroitesse éventuelle du marché sur lequel évolue le franchisé, souhait voire nécessité pour le franchiseur de conserver ses parts de marché, personnalité des interlocuteurs.

L’exemple caricatural de l’alimentaire

Le secteur de la distribution alimentaire illustre jusqu’à la caricature les difficultés que peut rencontrer le franchisé désireux de se retirer avec le fruit de son labeur, soit le prix de vente de son fonds. Le nombre d’enseignes est aujourd’hui réduit et par conséquent est également réduit le nombre d’acquéreurs possibles. La complexité du système juridique mis en place encourage le franchisé à céder au franchiseur, qui bénéficie généralement d’une clause d’agrément, parfois d’un pacte d’actionnaires. Cependant, cet acquéreur naturel est peut être tenté, compte tenu de son avantage juridique, de proposer un prix inférieur à celui du marché. Le franchisé est alors tiraillé entre l’appât du bénéfice et la crainte des retombées juridiques. Encore une fois sa marge de manœuvre est limitée. Il doit convaincre le partenaire naturel, à savoir le franchiseur, d’améliorer sa proposition, faisant état du prix de marché ou des propositions reçues d’autres réseaux. Il est clair que la voie est étroite entre négociation, procédure et renonciation. Les intervenants, dans le monde particulier de l’alimentaire, trouvent souvent un terrain d’entente, même si les procédures judiciaires ou arbitrales foisonnent.

Quand le franchiseur bloque la vente

Les autres secteurs, où les sommes en jeu sont moins élevées, ne sont pas à l’abri des diktats de franchiseurs peu scrupuleux. Il arrive parfois qu’à la fin du contrat, le franchiseur s’oppose à la fois au renouvellement de celui-ci et à la vente du fonds. Le franchisé est alors acculé à céder un droit au bail dont la valeur est extrêmement variable selon la localisation. Le chiffre d’affaires réalisé pendant des années ainsi que les efforts fournis n’entrent plus en ligne de compte : le franchiseur rappelle que le contrat est à durée déterminée, qu’il n’est en aucun cas tenu au renouvellement et qu’il n’est pas non plus tenu d’accepter un éventuel acquéreur. Le franchisé n’a alors que les yeux pour pleurer et doit alors soit céder son droit au bail, soit se lancer dans une nouvelle activité ….À condition que le bail le permette ! Alors coincé entre le bailleur d’un côté, le franchiseur de l’autre, le franchisé peut regretter de s’être embarqué dans cette galère. Conclure sur ce sujet délicat est une gageure tant il y a de questions à aborder : néanmoins il est possible de donner un conseil de bon sens aux franchisés qui s’interrogent sur la valeur de leur fonds : la valeur d’une entreprise ne doit pas dépendre du prix de cession éventuelle, mais doit correspondre aux bénéfices que l’exploitant doit en retirer chaque année.

Miser sur l’activité plutôt que sur la revente

Miser sur la revente pour capitaliser est, en franchise, extraordinairement aléatoire : le franchisé doit pouvoir se payer, et l’entreprise doit dégager des bénéfices au cours de l’exécution du contrat de franchise. Le commerçant qui mise sur la revente pour capitaliser prend le risque de perdre beaucoup, le franchiseur ayant le pouvoir de dire NON ! La prudence exige donc que cet élément soit pris en compte dès la signature.

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