L’efficacité de la sanction de l’abus de dépendance économique, entre déceptions passées et l’espoir

le 14 mai 2009 / Monique Ben Soussen

Avec l'essor des réseaux de distribution en France au cours de ces vingt dernières années, le développement corrélatif du droit communautaire de la concurrence, la manifestation de nouveaux comportements anticoncurrentiels par les acteurs de la distribution, de nouveaux concepts juridiques ont fait leur apparition.

Ces nouveaux concepts, assez étrangers à la tradition juridique française, devaient sanctionner plus efficacement les comportements illicites, pour la répression desquels le droit commun des contrats était insuffisant.

C'est ainsi que l'ordonnance du 1er décembre 1986 a créé, entres autres, un nouveau délit civil, prévu à l'article 8 alinéa 2 : l'abus de dépendance économique. La sanction de l'abus de dépendance économique, d'une grande rigueur, était la nullité de l'accord ou même de la clause se rapportant à cette pratique prohibée.

Fort de ce nouveau texte et de sa sanction vigoureuse, les acteurs victimes d'un tel abus ont espéré un assainissement de leurs relations de travail, du fait du caractère dissuasif de la sanction.

22  ans après la date d'entrée en vigueur du texte, le constat est très éloigné des espoirs attendus. Il n'y a eu qu'une poignée de décisions ayant retenu l'abus de dépendance économique.

La majorité écrasante de décisions rendues, par les juridictions du fond, le conseil de la concurrence, la Cour d'appel de Paris et la Cour de cassation ayant rejeté la demande de condamnation sur ce fondement.

Pourquoi ?

Tout simplement parce que le législateur en 1986 a pris « la précaution » de rendre le texte inapplicable. En effet, les conditions posées pour sa mise en œuvre ont été si rigoureuses, qu'elles ne pouvaient presque jamais être réunies : il fallait démontrer l'atteinte à la concurrence, l'existence d'un marché, l'absence de solution équivalente.

Pour contourner l'obstacle juridique, les acteurs économiques ont dès lors été contraints de recourir aux armes classiques : le droit commun des contrats, le raisonnement par analogie, des constructions juridiques originales.

Le succès de ces entreprises a été très inégal, le plus souvent limité.

En 1996, en préparant la loi sur la loyauté dans les relations commerciales, le législateur, pensait-on, aurait pris conscience de la frustration vécue par les acteurs économiques, celle de disposer d'une incrimination précise, correspondant exactement à leur situation, mais dont les conditions préalables de mise en œuvre étaient impossibles à réunir.

La loi du 1er juillet 1996 a certes amélioré « l'ordinaire », en créant une série de nouvelles sanctions, mais sans modifier l'essentiel, soit le régime de mise en œuvre de l'abus de dépendance économique.

La situation a donc continué ainsi.

Finalement, en mai 2001, le législateur, revenant une nouvelle fois sur « l'éthique » des relations commerciales, a posé la règle au terme de laquelle il est interdit « d'abuser de la relation de dépendance dans laquelle (il) tient un partenaire ou de sa puissance d'achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées ».

La formulation de ce nouveau texte est moderne, et sa place au sein du nouveau code de commerce, un signe qui ne trompe pas.

Le texte rompt radicalement avec l'économie de l'article 8 alinéa 2 originel. Les conditions préalables rappelées précédemment n'ont plus à être réunies.

Enfin, il sera peut-être possible de voir sanctionné efficacement par les juridictions françaises le comportement abusif d'acteurs exploitant l'état de dépendance de leur partenaire.

Rendez-vous dans 22  ans !

Lire aussi :

Retour