Quelques conseils aux franchisés en situation de litige

le 21 décembre 2007

Se prémunir face aux éventuels litiges ; les principaux motifs d'insatisfaction des franchisés ; y a-t-il beaucoup de franchisés malheureux ; quelles lois encadrent la franchise : autant de sujets sur lesquels Maître Monique Ben Soussen, avocate spécialisée dans la défense des franchisés, donne son point de vue dans l'interview ci-dessous.

Pour éviter les litiges, que faut-il vérifier avant de signer un contrat ?

Le minimum consiste à vérifier que le franchiseur ait bien délivré un document d'information précontractuelle comme l'y oblige la loi (le fameux « DIP »). Ce document doit être communiqué au moins vingt jours avant la signature du contrat de franchise (petit conseil tout bête : faire attention à ne pas signer un accusé réception de « DIP » antidaté comme y poussent certains franchiseurs pressés).

Mais, à l'évidence, cette première vérification élémentaire n'est pas suffisante. Encore faut-il vérifier la pertinence des informations délivrées par le franchiseur d'une part, aller soi-même à la pêche aux informations d'autre part. Le but est clair : se faire l'idée la plus juste des données relatives au savoir-faire, au réseau, au marché, au financement et au contrat dont la conclusion est projetée. Reprenons chacun de ces éléments successivement.

S'agissant du savoir-faire, tout d'abord, je conseille toujours aux candidats à l'intégration d'un réseau de s'interroger sur l'originalité du concept qui leur est vendu. Trop de franchisés subissent l'attrait de « fausses bonnes idées ». Pour éviter les désillusions, il me paraît opportun de sonder ses proches : ce concept te paraît-il porteur ? Le bon sens, en la matière, peut être un guide précieux.

S'agissant du réseau, ensuite, il est indispensable de mener une enquête auprès des franchisés existants. Recueillir leurs sentiments me paraît essentiel. Mais au-delà des sentiments, ce sont évidemment les chiffres qui contribuent à se faire une idée précise de la réussite et du dynamisme du réseau. Je conseille donc toujours de lever les extraits K bis et les derniers bilans non seulement du franchiseur, mais encore des franchisés. Ces chiffres sont une mine d'information incomparable. A condition, bien sûr, de les analyser avec discernement : on ne peut par exemple comparer les chiffres d'un franchisé installé depuis plusieurs années avec ceux d'un nouveau venu. Enfin, il est nécessaire de déterminer les récentes sorties du réseau afin de savoir quel est le turn-over.

S'agissant du marché, le candidat à la franchise est en principe renseigné par le franchiseur qui doit lui fournir les données du marché local et national ainsi que ses perspectives de développement. Le candidat prendra toutefois soin de vérifier, outre la date de fraîcheur des informations qui lui sont délivrées, leur précision qui doit être maximale. Il se renseignera aussi sur les concurrents locaux. Enfin, si le franchiseur a remis au candidat une étude de marché faisant état de chiffres prévisionnels, il m'apparaît indispensable de comparer ces prévisions aux chiffres effectivement réalisés par les autres franchisés, spécialement ceux qui sont en début d'activité. Il faut également éviter de s'en tenir aux chiffres d'affaires : seul le résultat net importe. Enfin, il est important de savoir sur quelles bases le franchiseur a établi les prévisionnels, quelle méthode il a utilisée. Il faut en effet pouvoir vérifier le sérieux de cette méthode et de ces chiffres.

S'agissant du financement, le conseil est une lapalissade mais reste utile : le candidat à la franchise doit vérifier qu'il a les reins solides... En clair, il faut qu'il dispose d'une trésorerie suffisante la première année pour essuyer les débuts d'une activité, toujours difficile à lancer. Certains clients viennent me voir afin de récupérer le droit d'entrée versé au franchiseur de manière prématurée : ils ont signé un contrat de franchise, payé un droit d'entrée mais n'ont jamais obtenu le financement nécessaire à l'ouverture de leur point de vente. Pour éviter une procédure, le mieux aurait été de « bétonner » son dossier de financement dès le départ.

S'agissant du contrat de franchise enfin, trop peu de franchisés prennent la peine de le lire dans toutes ses clauses. Il le faut pourtant. Ne serait-ce que pour vérifier, par exemple, que la durée du contrat permet d'amortir ses investissements initiaux (j'ai vu un franchisé s'engager pour une durée de 3 ans alors que son investissement initial était de 150.000 euros). Ou encore pour vérifier la nature des droits prévus : le franchisé dispose-t-il d'une exclusivité d'exploitation ou seulement d'implantation ? La différence est de taille : dans le premier cas, le franchisé est seul à pouvoir exploiter un territoire ; dans le second, il a simplement le droit exclusif d'avoir un magasin mais d'autres franchisés peuvent prospecter activement sur sa zone. Autre question à se poser : quelle forme concrète prendra l'assistance et la formation ? Un planning précis a-t-il été arrêté ? Plus le contrat est évasif, plus les risques d'une formation creuse sont élevés. Les clauses relatives à « l'après contrat » sont également très importantes : le franchisé pourra-t-il continuer d'exercer son activité, pourra-t-il s'affilier à un autre réseau, quel sort est réservé à son stock et aux actifs spécifiques qu'il a mobilisés etc... ? L'avenir doit toujours être anticipé.

Enfin, il n'y a pas que le contrat de franchise dans une relation de franchise. Il faut en effet vérifier les conditions du bail commercial ou du contrat de société. Dans certains réseaux, le franchiseur exige en effet d'entrer dans le capital du franchisé afin de se ménager une minorité de blocage. Il faut alors éviter à tout prix que cette minorité lui permette de paralyser la cession du fonds de commerce ou des parts sociales.

Quels sont les principaux motifs de plainte de la part des franchisés ?

Si l'on prend la relation de franchise de son début à sa fin, le premier problème a trait aux vices de l'information précontractuelle délivrée par le franchiseur. Je prends un exemple : le franchiseur ne fournit pas d'informations suffisantes sur l'évolution du nombre de franchisés dans le réseau. Autre exemple : le franchiseur fait miroiter au candidat des chiffres prévisionnels exagérément optimistes. Deuxième type de problèmes : le franchisé s'aperçoit que le savoir-faire du franchiseur est inexistant et que la rentabilité de son exploitation est gravement compromise. Dans le même genre, il n'est pas rare qu'un franchisé se plaigne d'une insuffisance des formations et de l'assistance. Alors qu'il avait pensé à la franchise pour être épaulé, le franchisé se retrouve seul à gérer ses problèmes. Tel pourra être le cas lorsqu'un réseau est racheté par une autre enseigne qui est parfois tentée de le délaisser.

Enfin, une troisième série de problèmes concerne la cessation du contrat. Par exemple, le franchiseur tente d'évincer un franchisé pour faire main basse sur son fonds ou s'oppose au renouvellement du contrat dans les mêmes conditions. Il peut également freiner la cession de l'exploitation de son franchisé : c'est tout le problème des clauses d'agrément stipulées dans les contrats. Et puis, même si je ne peux être exhaustive, il me paraît important de rappeler que de nombreux franchisés se retrouvent dans une situation délicate du fait des clauses de non-concurrence ou de non affiliation qui restreignent leur liberté d'exercer le commerce.

Y a-t-il une grande proportion de franchisés pour qui l'aventure tourne mal ?

En l'état, il est malheureusement impossible de répondre de façon précise à cette question. A ma connaissance, aucune statistique officielle n'est disponible. Et pour cause : voilà le genre d'informations que les franchiseurs n'ont pas trop intérêt à mettre sur la place publique. Pour ma part, j'interviens le plus souvent lorsque l'aventure tourne mal, ce qui fausse ma vision d'ensemble. Tout au plus puis-je témoigner d'un état de fait : la franchise n'est pas la panacée qu'une certaine presse tend à présenter. En clair, la franchise n'est pas un gage de réussite. A cet égard, je ne puis qu'inviter les candidats à la franchise à bien mûrir leur projet en s'entourant de tous les conseils nécessaires, ce qui permet déjà de minimiser les risques d'échec.

Existe-t-il une loi régissant la franchise ?

La franchise est une formule de distribution issue de la pratique contractuelle. Jamais le législateur n'en a fait l'objet d'un texte spécifique. Certes, on évoque souvent la fameuse « loi Doubin » promulguée en 1989 et dont les dispositions sont désormais contenues dans le Code de commerce (art. L 330-3 et R 330-1). Mais s'il est vrai que cette loi impose au franchiseur la délivrance d'une information précontractuelle aux candidats à l'intégration d'un réseau, elle n'est pas spécifique à la franchise. Elle s'applique à d'autres formes de distribution telle la concession exclusive. J'ajoute que le contenu de la « loi Doubin » ne suffit pas pour « régir » la relation issue d'un contrat de franchise. La réponse à votre question est donc claire : non, il n'existe pas une loi régissant la franchise.

Cela étant, le Droit, comme la Nature, a horreur du vide. Qu'il n'y ait pas de loi sur la franchise ne signifie pas qu'il n'y ait pas un droit de la franchise. De fait, ce droit puise à différentes sources : règles générales du droit des contrats, droit commercial ou encore droit de la concurrence. Et puis surtout, au-delà des textes dont on dispose, il y a la pratique des tribunaux qui les appliquent. C'est ce que l'on appelle dans notre jargon la jurisprudence. Elle constitue une mine d'or. Non pas seulement parce qu'on y trouve des informations sur tel ou tel réseau. Mais aussi et surtout, parce que la jurisprudence pose souvent de véritables règles. C'est pourquoi tout praticien de la franchise y prête la plus grande attention. Je voudrais vous donner un seul exemple de l'importance qui s'attache à la jurisprudence : voilà plusieurs décennies que de nombreux auteurs exhortent le législateur à reconnaître aux franchisés le droit à une indemnité de clientèle en fin de contrat. Cette question n'est toutefois jamais venue à l'ordre du jour. Et bien c'est désormais chose faite : dans une décision du 9 octobre 2007, la Cour de cassation a décidé d'octroyer une telle indemnité au franchisé qui subit la cessation de son contrat alors que la clause de non-concurrence contenu dans ce contrat lui interdit de poursuivre son activité. Dans ce cas, la Cour de cassation considère que le franchisé est injustement dépossédé de sa clientèle et décide qu'il a droit à une indemnité compensatrice de son préjudice. Il existe donc bel et bien un droit de la franchise, en perpétuelle évolution. C'est d'ailleurs ce qui le rend si passionnant.

Quelle définition donneriez-vous de la franchise ?

Je serais assez tentée de résumer la franchise par la formule que Claude Bernard utilisait à propos de la connaissance scientifique : à l'origine, il y a une idée, puis l'expérience vient confirmer l'idée. Le franchiseur est en effet une personne qui a réussi en expérimentant une idée originale. Ainsi la franchise est-elle le contrat par lequel cette personne, le franchiseur, propose à une autre personne, le franchisé, de réitérer cette réussite. En contrepartie, le franchisé verse le plus souvent un droit d'entrée lors de la conclusion du contrat et des redevances (royalties) lors de son exécution. La définition est simple. Elle n'en implique pas moins toute une série d'exigences que le candidat à l'intégration d'un réseau, quel qu'il soit, doit constamment garder à l'esprit.

D'abord, franchiseur et franchisé sont bien deux personnes juridiquement distinctes. C'est dire que le franchisé n'est pas le salarié du franchiseur. Il doit conserver une réelle indépendance dans la maîtrise de sa gestion. Une immixtion trop intrusive de la part du franchiseur pourra aboutir à une requalification du contrat de franchise en contrat de travail, avec toutes les conséquences qui s'ensuivent (application du droit du travail : exigence d'un SMIC, indemnité de licenciement le cas échéant...). C'est tout le problème de la franchise car il faut trouver un juste milieu : le franchisé n'est ni totalement libre, ni totalement esclave.

Ensuite, le franchiseur doit pouvoir justifier d'une idée originale, d'une expérience et d'une réussite. Le franchisé n'est pas là pour « essuyer les plâtres ». Certaines idées peuvent paraître séduisantes : elles ne peuvent toutefois faire l'objet d'une franchise que si leur exploitation économique a déjà fait ses preuves. Le franchiseur doit disposer d'un véritable savoir-faire qu'il transmettra au franchisé par le biais d'une formation substantielle et d'une assistance continue. A défaut, le candidat à l'intégration d'un réseau n'a en face de lui qu'un pseudo franchiseur, un marchand d'illusions. En clair, on ne s'improvise pas franchiseur.

Finalement, quels conseils pourriez-vous donner à un futur franchisé ?

  • Lire, parler, écouter.
  • Ne pas confondre vitesse et précipitation
  • Ne pas faire une confiance aveugle au franchiseur 
  • Évitez les idées reçues

Vous allez dire que je prêche pour ma paroisse mais il me semble important de consulter un avocat avant qu'il ne soit trop tard, c'est-à-dire avant la conclusion d'un contrat.

Sans tomber dans une suspicion systématique, il y a un conseil qui les résume tous et dont Prosper Mérimée avait fait sa devise : « Souviens-toi de te méfier »...

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