Mesure du temps de travail : normes européennes et régime des français

le 17 juillet 2006

La durée du travail est l’objet de nombreux débats. La loi ne cesse d’évoluer en ce qui concerne la règlementation du temps de travail, aussi bien au niveau européen qu’au niveau national. Si le législateur communautaire et le législateur français s’accordent à que le temps de travail doit être règlementé afin de protéger les travailleurs, la difficulté réside dans la façon de calculer ce temps de travail.

Les deux conceptions du temps de travail.

Le salaire est en général considéré comme la contrepartie d’une prestation effectuée par le salarié. Cependant, dans l’hypothèse où l’employeur ne fournit pas de travail au salarié, qui est à sa disposition, il se doit de lui verser son salaire. En effet, la Cour de Cassation considère dans un arrêt du 20 octobre 1998 que « le salarié qui se tient à la disposition du son employeur à droit à son salaire, peu important que ce dernier ne lui fournisse pas de travail ». Le salaire n’est alors plus la contrepartie d’un travail effectué, mais d’une mise à disposition du salarié.

On voit que deux conceptions du temps de travail effectifs coexistent dans la législation française : une conception productiviste d’une part, et une conception qui s’attache au temps où le travailleur est à la disposition de l’employeur d’autre part.

Le temps de travail effectif ou la logique productiviste

Depuis les premières lois règlementant la durée du travail au XIXe siècle, la logique productiviste est le principe de calcul du temps de travail en France. En effet la première loi sociale relative au travail des enfants de 1841 dispose que « Les enfants (…) ne pourront être assujettis à une durée de travail de plus de six heures par jour ». Sans donner d’autres précisions concernant les heures de travail, le texte prévoit implicitement que le temps de travail est le temps effectivement passé à travailler.

Selon la conception productiviste, le temps de travail effectif dépend de la valeur productive du travail fourni. Cette valeur peut être mesurée soit par le résultat productif obtenu, soit par le temps effectivement passé à travailler.

Le temps disponible

Une autre approche du temps de travail consiste à calculer le temps où le travailleur est à la disposition de son employeur, sans tenir compte du travail qu’il fournit effectivement. Dans cette perspective, le contrat de travail s’analyse comme une double obligation : le salarié est dans l’obligation de mettre son temps à la disposition de l’employeur, alors que ce dernier doit lui fournir du travail et lui payer un salaire. Dans l’hypothèse où l’employeur manquerait à son obligation de fournir du travail, il devrait tout de même lui payer son salaire.

Cette analyse du temps de travail est lourde de conséquences aussi bien en ce qui concerne les contrats de travail à temps plein que les contrats de travail à temps partiel. Dans les deux cas de figure, l’employeur doit verser au salarié la somme correspondant au nombre d’heures de travail initialement prévues par le contrat, indépendamment du temps d’inactivité.

Le droit positif français : une combinaison des deux approches du temps de travail

Le droit français considère aujourd’hui, selon la nouvelle rédaction de l’article L.212-4 du code du travail, que «La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.». Il semble donc que le droit français privilégie aujourd’hui le temps disponible au détriment de la productivité pour calculer le temps de travail.

Néanmoins la législation française conserve par certains aspects une approche productiviste. Il s’agit en particulier du régime des équivalences, qui est un régime dérogatoire mis en place par décrets, dans certains secteurs d’activité.

Le régime des équivalences et les dispositions communautaires

Le régime des équivalences

Dans de nombreux secteurs, les travailleurs sont confrontés à des heures creuses, voire même à des périodes d’inactivité. Le régime des équivalences consiste à considérer comme équivalente à la durée légale de travail une durée supérieure, au motif que le salarié est inactif pendant une partie du temps de travail. Ce mécanisme, qui relève de la fiction juridique, permet à l’employeur d’augmenter les heures de travail, et de différer le paiement des heures supplémentaires. Ainsi le décret 2005-40 du 20 janvier 2005, qui instaure un régime dérogatoire pour « le personnel de gardiennage », prévoit que « La durée du travail, équivalente à la durée légale prévue au premier alinéa de l'article L. 212-1 du code du travail, du personnel mentionné à l'article 1er est fixée à 43 heures par semaine ». Cet exemple témoigne de la portée importante des régimes dérogatoires : pour des secteurs entiers d’activités, les salariés peuvent être tenus de travailler 43 heures au lieu de 35 ! La jurisprudence a tenté de limiter l’étendue des régimes d’équivalence, notamment en considérant qu’ils ne s’appliquent pas aux emplois à temps partiels. En effet, selon un arrêt de la Cour de Cassation du 8 juin 1994, « la règlementation relative à la durée hebdomadaire légale et la détermination des périodes d'inaction permettant d'y déroger est édictée seulement pour le cas de travail à temps complet, et ne peut être transposée au cas de travail à temps partiel ».
Malgré l’interprétation stricte de la jurisprudence quant aux régimes dérogatoires, la pratique des heures d’équivalence soulève des difficultés au regard de la législation européenne.

Un non respect du droit communautaire

Le droit communautaire s’attache clairement et exclusivement à la durée de mise à disposition du salarié pour calculer le temps de travail. En effet selon la directive du 23novembre 1993 définit le temps de travail comme toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales. Si cette définition retient trois critères pour déterminer le temps de travail, leur présence simultanée n’est pas nécessaire. Néanmoins, la disponibilité est un critère déterminant et suffisant, comme l’a confirmé la Cour de Justice des communautés européennes dans un arrêt de décembre 2005 : « La qualification du temps de travail (…) est fonction uniquement de l’obligation pour le travailleur de se tenir à la disposition de son employeur » (affaire C14-04 du 1er décembre 2005).

Ainsi le Conseil d’une part, et la CJCE d’autre part retiennent le critère de la mise à disposition du salarié pour déterminer le temps de travail. Le régime des équivalences, qui est certes dérogatoire au droit commun, constitue néanmoins un manquement important à la transposition de la directive en droit interne.

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