Attention aux clauses de solidarité !

le 19 septembre 2016 / Monique Ben Soussen

Une décision récente invite le candidat à l’intégration d’un réseau de franchise à la plus grande vigilance. Elle est scandaleuse mais il faut bien en tenir compte ! Rendue par la Cour d’appel de Paris, le 2 mars 2016, elle autorise un franchiseur à poursuivre le gérant d’une société franchisé en paiement de diverses sommes issues du contrat de franchise (CA Paris, 2 mars 2016, n° 13/21059). Etonnant, dira-t-on ! Le contrat de franchise étant conclu entre le franchiseur et une société, celle-ci devrait normalement faire écran ! Certes… Le problème est qu’en première page, ce contrat stipulait perfidement que le gérant de la société franchisée s’engageait solidairement avec sa société à toutes les obligations issues du contrat. De sorte que si la société tourne mal, le franchiseur peut toujours aller chercher du côté de la personne physique, c’est à dire le dirigeant de la société franchisée…
 
Bigre : voilà une belle manière de saper l’intérêt de la mise en place d’une société. Sans doute n’est-il pas exceptionnel que le franchiseur se ménage une garantie en cas d’inexécution du contrat de franchise. Mais ce qui choque ici, c’est la garantie choisie et la pleine efficacité que lui réserve la Cour d’appel de Paris. En général, la garantie souscrite par le dirigeant, personne physique, au profit des créanciers de la société qu’il dirige réside dans un cautionnement. Petit rappel pour mémoire : le cautionnement est justement ce contrat par lequel une personne, la caution, se soumet envers le créancier à satisfaire à l’obligation souscrite par un débiteur, au cas où ce dernier n’y satisfait pas lui-même (C. civ., art. 2288). Or le cautionnement obéit à des règles strictes tendant à protéger la caution. Il s’agit notamment de lui permettre de s’engager en pleine connaissance de cause, sa validité étant suspendue à l’existence d’une mention écrite de la main de la caution personne physique, dès lors que l’engagement est conclu au profit d’un créancier professionnel. Ou encore de l’exigence de proportionnalité, afin d’éviter qu’une caution personne physique ne s’engage inconsidérément. Bref, tout un régime patiemment mis en place par le législateur et que la stipulation d’une simple clause dite de « solidarité » permettrait de contourner à bon compte. On dira qu’un débiteur solidaire n’est pas une caution. En théorie, rien n’est plus vrai. Dans le premier, une personne s’engage au même titre que l’autre débiteur. Comme lorsque deux personnes achètent ensemble un bien immobilier par exemple. Dans le second cas, en revanche, la caution n’est qu’un débiteur de second rang si l’on peut dire ; son engagement est accessoire. Qui ne voit pourtant qu’en pratique, la stipulation d’une solidarité à la charge du dirigeant de la société franchisée revient à instaurer un cautionnement tout en en évacuant le régime protecteur ? Trop facile ! Qui ne voit encore qu’une telle clause de solidarité ruine tout l’intérêt de la mise en place d’une société ? La technique sociétaire a pour objet de séparer les patrimoines : les actifs de la société restent en principe distincts du patrimoine du dirigeant.
 
Il est dès lors extrêmement étonnant que des magistrats se laissent berner. Piège du juridisme, dira-t-on : la liberté contractuelle permet aux parties de choisir une solidarité plutôt qu’un cautionnement. Mais la liberté a bon dos quand seule une partie l’exerce vraiment ! Croit-on vraiment qu’un candidat à l’intégration d’un réseau ait le choix ? Que nenni ! Le plus souvent, il n’aura d’ailleurs même pas prêté attention à la stipulation de son nom, inséré de façon discrète et peu claire, en première page du contrat à la suite de la présentation des patries. La mention du nom du dirigeant apparaît anodine, les conséquences de cette mention n’étant pas explicites.
 
Le dirigeant est-il pour autant dénué de tout moyen de défense ? Certes non ! D’abord, il y a lieu de rappeler qu’en droit commun de la preuve, tout engagement unilatéral de payer une somme d’argent suppose, pour être prouvé, une mention écrite de la main du débiteur lui-même (C. civ., art. 1326). Ensuite, une clause de solidarité mise à la charge du dirigeant personne physique n’est-elle pas à la source d’un déséquilibre significatif ? Après tout, elle ne fait guère qu’astreindre le prétendu codébiteur solidaire, sans que ce dernier bénéfice de la moindre contrepartie. Enfin, la réforme du droit des contrats crée une nouvelle cause de nullité des contrats : l’abus de dépendance. Et n’est-il pas abusif pour un franchiseur d’arracher subrepticement un tel engagement à celui qui vient à lui pour rejoindre son réseau ?
 
Tout cela est néanmoins sujet à l’appréciation des tribunaux… Et ceux-ci n’étant pas spécialement toujours au fait des réalités de la franchise, des décisions iniques peuvent ainsi être rendues. Le conseil le plus efficace est le suivant : fuyez ces réseaux qui s’emploient à de telles pratiques ! Fuyez ces apprentis franchiseurs qui n’entendent courir aucun risque tout en s’enorgueillissant d’un savoir-faire ! Fuyez ceux qui ne pensent qu’à se ménager une rente de situation et qui ne crient à la liberté contractuelle que pour mieux enchaîner leurs futures proies ! Les franchiseurs sérieux n’ont pas besoin de ces méthodes !
 

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