Vers la fin de l’exclusivité territoriale ?

le 04 juillet 2006 / par Monique Ben Soussen, Avocat à la Cour d’Appel de Paris

Les contrats de franchise prévoient, classiquement, des clauses d’exclusivité territoriale en faveur des franchisés. Dans le passé, on s’interrogeait déjà sur leur portée réelle (exclusivité d’enseigne, ou exclusivité de produit). Leur cohabitation avec un système parallèle de vente par correspondance faisait aussi débat.

Avec la montée en puissance des sites marchands sur Internet, il devient de plus en plus nécessaire et urgent de revoir la pertinence de ces clauses dans les contrats de franchise.

La Cour de Cassation a rendu récemment une décision aux termes de laquelle elle a confirmé la décision de la cour d’appel qui avait estimé que le franchiseur, qui vendait par Internet les produits qui étaient commercialisés par un franchisé sur territoire concédé en exclusivité, ne commettait pas une faute. Ainsi l’exclusivité territoriale ne constitue qu’une protection très relative : dans le silence du contrat elle n’interdit pas au franchiseur de commercialiser en direct les produits faisant l’objet du savoir faire. Cette décision a été rendue au sujet d’une convention qui ne contenait aucune stipulation particulière concernant la vente sur Internet.

La relativité de la clause d’exclusivité territoriale

Il convient donc de s’interroger sur la portée d’une clause d’exclusivité territoriale au regard des modes actuels de commercialisation de leur évolution probable. Le franchisé qui bénéficie contractuellement d’une exclusivité territoriale est il, aujourd’hui, réellement protégé ?

Il convient de s’interroger en premier lieu sur le sens de l’expression « exclusivité territoriale » et sur ce qu’elle recouvre. Au sens large elle signifie que le franchiseur s’engage à ne pas créer d’autre point de vente, succursale ou franchisé, sur le territoire concédé ni à commercialiser ses produits, par quelque moyen que ce soit, sur ce territoire. Le franchiseur accepte une réelle limitation à sa liberté et il s’engage à ne distribuer ses produits que par l’intermédiaire du franchisé.

Mais l’expression « exclusivité territoriale » peut aussi se comprendre de façon plus restrictive : le franchiseur s’engage à ne pas créer d’autre point de vente sur le territoire concédé mais il se réserve par contre la possibilité de vendre en direct. La protection conférée par la clause est alors beaucoup plus limitée puisqu’elle ne concerne que les magasins et exclut d’autres modes de distribution tels que la VPC ou Internet.

Quelle protection face aux modes de distribution parallèles ?

Il convient alors de s’interroger sur le caractère réel de la protection conférée par cette clause d’exclusivité lorsqu’elle autorise des modes de distribution parallèles. Le franchisé bénéficie t il encore d’une protection ou bien celle-ci est elle peu à peu vidée subrepticement de son contenu pour devenir un leurre ?

La tendance de certains franchiseurs qui se réservent la vente en direct, doit être analysée au regard de l’évolution des comportements des consommateurs. Le franchisé, ainsi concurrencé par son franchiseur, a-t-il encore la possibilité d’avoir une activité pérenne ?

Le franchiseur n’est il pas alors le concurrent le plus dangereux auquel le franchisé devra être confronté ? Ce sont là les principales mais non les seules questions que les futurs franchisés doivent se poser à défaut de pouvoir y répondre.

La VPC : Un mode de distribution à faible coût pour le franchiseur

Un franchiseur peut être tenté d’avoir recours à la VPC ou à la vente sur Internet en cours de contrat ainsi que la récente décision de la cour de Cassation semble l’y autoriser. La VPC peut être mise utilisée concomitamment ou postérieurement à l’installation d’un franchisé. Le recours à la VPC a fait ses preuves dans des réseaux renommés et permet au franchiseur de vendre en direct, en utilisant de surcroît le fichier client crée par le franchisé ! Ainsi le franchisé crée une clientèle qui est ensuite contactée par le franchiseur qui bénéficie par ce biais des efforts fournis par son affilié. Cette stratégie évite au franchiseur d’assumer les risques financiers de l’implantation et intervient sur un marché déjà maîtrisé. La VPC a un coût pour le franchiseur mais celui-ci est de toutes les façons très inférieur à celui de l’implantation d’une boutique.

La dernière solution offerte au franchiseur réside dans la commercialisation par Internet. Il s’agit là de la solution optimale et ce pour diverses raisons : le franchiseur n’a pas à attendre la constitution d’un fichier clients par le franchisé; il peut, par son site, bénéficier des efforts faits localement pour faire connaître sa marque. Le franchisé est alors celui qui investit pour implanter un fonds de commerce, et pour faire de la publicité locale. Grâce à ces investissements, la marque du franchiseur est peu à peu connue des consommateurs. Rapidement la marque peut avoir une notoriété suffisante pour que les consommateurs soient plus attirés par celle-ci que par le lieu de commercialisation. Le recours vers Internet apparaît alors comme une voie naturelle.

Internet la voie royale

Les statistiques sont éclairantes : on constate une tendance de plus en plus nette à acheter certains produits par Internet : les livres, les disques, les fleurs font partie des biens qui sont acquis de plus en plus fréquemment par ce moyen. Mais il ne s’agit pas là des seuls biens concernés : les courses alimentaires sont également concernées en particulier à Paris où l’on rencontre de plus en plus souvent les camionnettes Ooshop ou Houra …   . En réalité tous les secteurs sont concernés et il est fort probable que l’utilisation d’internet, qui augmente régulièrement, ne pourra aller que crescendo.

De surcroît la vulgarisation associée aux progrès technologiques rend l’accès à Internet de plus en plus aisé à de nouvelles catégories de consommateurs. Réservé il y a dix ans à des consommateurs avertis et particulièrement informés, Internet est aujourd’hui utilisé par la quasi-totalité des catégories sociales.  Il ne serait pas sérieux de considérer aujourd’hui que la consommation via le net serait marginale. Les ventes par le réseau virtuel, déjà significatives, ne pourront que se développer et sont d’autant plus dangereuses que le franchiseur ne doit pas assumer les mêmes charges d’exploitation que les franchisés : pas de droit au bail ou de fonds de commerce à acquérir, pas de loyer, une équipe légère et une marge égale voire supérieure à celle du franchisé !

Une situation ubuesque et choquante

La concurrence n’est pas seulement sauvage, elle devient déloyale. Ainsi on aboutit à une situation ubuesque et choquante : le franchisé qui s’installe, paie un droit d’entrée, et néanmoins assume tous les risques liés à une nouvelle implantation. Ces efforts e risquent d’être fort mal récompensés si le franchiseur peut ensuite servir librement la clientèle créée par le premier sans bourse délier. La coopération entre le franchiseur et le franchisé devient alors un piège dans lequel le second ne pourra éviter de tomber.

Il n’est pas question de limiter ou de refuser l’utilisation d’Internet mais il est indispensable de trouver un mode de collaboration qui n’aboutisse pas à mettre en place un système permettant à l’un de spolier l’autre du fruit de ses efforts. A long terme et s’il veut perdurer le système de la franchise doit retrouver l’équilibre perdu et permettre aux deux parties de retirer un réel bénéfice de leur collaboration. Ce bénéfice ne peut exister que s’il existe également une satisfaction psychologique à la collaboration. Or le fait que l’un des cocontractants soit instrumentalisé par l’autre est antinomique avec la pérennité du système en lui-même. Il est donc indispensable et urgent que des barrières soient installées afin d’éviter des dérives néfastes : le franchisé ne doit pas être la victime du franchiseur.

Mettre en place des solutions de bonne foi

Autoriser le franchiseur à concurrencer directement son partenaire sur le territoire concédé est un non sens. Aussi oui à internet non au détournement de clientèle organisé. Pour ce faire des solutions simples sont offertes aux partenaires de bonne foi : la première solution consisterait à diriger les clients qui passent par le site vers le franchisé local. La seconde solution consisterait à organiser un partage des bénéfices entre le franchiseur et le franchisé lorsque le client contacterait directement le site du franchiseur alors qu’il serait situé dans le territoire concédé en exclusivité au franchisé. Il s’agit là des deux premières solutions imaginables mais il est certain que d’autres pourraient être élaborées par des hommes de bonne volonté.

Le progrès ne doit pas être synonyme d’absence de règles.

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