Pas de demie-mesure pour les clauses de non-concurrence

le 22 août 2016 / Sophie Bienenstock

Sur les conséquences de la nullité d’une clause de non-concurrence : à propos de Cass. Com., 30 mars 2016 : n° 14-23.261

Dit comme ça, la solution paraît évidente. Dès lors qu’une clause est nulle, personne ne peut raisonnablement en demander l’application.

Et pourtant, il est des évidences dont on se félicite que la Cour de cassation les rappelle fermement. Ainsi la décision qu’elle a rendue le 30 mars 2016 ne doit-elle pas passer inaperçue.

Le litige était très classique : après rupture de son contrat, un franchisé du secteur de la location automobile était inquiété par son franchiseur qui lui reprochait de poursuivre son activité. Violation de la clause de non-concurrence, arguait-il ! Problème : la clause était manifestement excessive : le franchiseur avait beau se prévaloir d’un savoir-faire à protéger, d’une atteinte à l’identité et à la réputation de son réseau ainsi que d’un risque de détournement de clientèle, arguments aussi rituels qu’incantatoires, la clause de non-concurrence litigieuse interdisait à l’ancien franchisé d’exploiter son activité économique dans pas moins de six départements. La cour d’appel en avait déduit son caractère disproportionné et l’avait, par conséquent, tout bonnement annulé.

Pourvoi du franchiseur. Sa thèse était assez originale : si les juges devaient tenir pour illicite une clause de non-concurrence en ce que, du fait d’une insuffisance de limitation dans le temps, dans l’espace, et quant à l’activité concernée, elle porte une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce, ils doivent faire application d’une telle clause lorsque, dans la mesure de sa licéité, il est certain que son débiteur l’a violée. Or en l’espèce, poursuivait-il, si les juges du fond ont constaté que la clause de non-concurrence présentait un caractère disproportionné en ce qu’elle interdisait au franchisé de se rétablir dans six départements, ils ont reconnu que celui-ci, une fois son contrat de franchise résilié, s’était rétabli dans les locaux mêmes où il exerçait sa précédente activité. Dès lors, en déboutant le franchiseur de son action en responsabilité aux motifs que la clause querellée, insuffisamment limitée dans l’espace, était illicite, sans rechercher si la clause de non-concurrence, en ce qu’elle interdisait au franchisé de se rétablir dans les locaux qui constituaient le siège de son ancienne activité de franchisé, n’était pas licite et si, dans cette mesure, le franchisé ne l’avait pas violée, la cour d’appel n’avait pas légalement justifié sa décision.

L’argument est néanmoins balayé. Et il est vrai qu’à bien y réfléchir, sa formulation était assez paradoxale, illogique : comment les juges pouvaient-ils appliquer une clause tenue pour illicite ? N’était-ce pas leur demander l’impossible ?

Dès lors qu’un juge est appelé à se prononcer sur la validité d’une clause, l’alternative semble bien fermée : ou bien la clause est valable, ou bien elle est nulle. Dans le premier cas, il faut l’appliquer ; dans le second, la supprimer.

Aussi la Cour de cassation rejette-t-elle fort logiquement ce pourvoi : « ayant retenu que la clause de non-concurrence était illicite en raison de son caractère disproportionné, la cour d’appel n’était pas tenue d’effectuer la recherche invoquée à la première branche ».

La réponse est claire. Elle est en outre juste. Posez la solution inverse, quelles seraient les conséquences ? Cela n’est pas difficile à deviner : les franchiseurs n’auraient pas hésité à stipuler des clauses de non-concurrence particulièrement étendues et dissuasives, en se disant qu’après tout, il serait toujours temps de plaider que le franchisé l’a violée dans la mesure où elle aurait été déclarée valable.

Certains diront peut-être qu’une clause de non-concurrence excessive pourrait être réduite. La clause était stipulée pour deux ans ? Ramenons-la à une année, voire six mois. Mais quel serait le fondement d’un tel pouvoir de réfaction reconnu au juge ? On peinerait à le trouver. Il serait d’ailleurs piquant de constater que ceux qui promeuvent la validité des clauses de non-concurrence au nom de la liberté contractuelle en seraient ainsi condamnés à en appeler au juge pour parfaire leur accord…

Et puis si toutes les clauses excessives pouvaient être taillées par le juge à mesure des besoins prétendus d’un franchiseur, ces clauses de non-concurrence seraient toujours valables. Dans des conditions impossibles à prévoir dès le début, certes, mais elles seraient valables. Où l’on en viendrait à un autre paradoxe : les thuriféraires de la sacro sainte sécurité juridique, dont les franchiseurs grossissent abondamment les bataillons, finiraient par défendre une solution totalement attentatoire à ladite sécurité juridique.
De ce point de vue, la solution de la Cour de cassation suscite la pleine approbation.

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