Responsabilité des dirigeants lors d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire

le 16 mars 2005 / Monique Ben Soussen, avocat à la cour

On assiste à une augmentation sans précédent des cas d'engagement de la responsabilité des dirigeants de société lorsque leur entreprise est soumise à une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.

S'il est vrai que le nombre croissant de ces procédures en est déjà une raison, il faut surtout remarquer la sévérité accrue avec laquelle des juges prononcent des sanctions envers les dirigeants d'entreprise avec tous les moyens que la loi met à leur disposition.

Et la loi n'est pas avare en la matière.

En effet, la désormais célèbre loi 85.98 du 25 Janvier 1985 sur les procédures collectives consacrait déjà dans sa première forme plusieurs chapitres aux sanctions des dirigeants de personnes morales, mentionnant :

  • les actions de comblement de passif,
  • les interdictions de gérer,
  • les faillites personnelles,
  • et les différents cas de banqueroute.

Évidemment, les cas dans lesquels le dirigeant peut avoir sa responsabilité engagée sont définis dans la loi elle-même et un juge ne saurait sortir du périmètre qu'elle lui fixe.

Cependant, les termes mêmes de la loi son parfois sujet à interprétation, laissant ainsi au juge une relative liberté d'appréciation pour décider, d'abord de l'existence et de la nature de la "faute" du dirigeant, puis des sanctions qui pourraient lui être appliquées.

Ainsi, la "faute de gestion ayant contribué à une insuffisance d'actif", qui fonde l'action en comblement de passif, peut être appréciée de différentes manières par le juge.

Ce qui signifie également qu'il ne s'agit pas d'une fatalité et qu'il faut se défendre face à une telle appréciation en se faisant assister dans cette procédure par des spécialistes aguerris capables de regrouper complémentairement les qualités du gestionnaire et du juriste.

De la même façon, les actes énoncés dans la loi du 25 Janvier 1985 permettant de prononcer des sanctions de faillite personnelle et interdiction de gérer à l'encontre des dirigeants d'entreprise, sont multiples, couvrant des situations très variées et complexes.

Il est à noter que la loi 94.475 du 10 Juin 1994 est venue élargir la liste déjà longue de ces cas.

Désormais, la tenue d'une comptabilité incomplète ou irrégulière suffit à ouvrir la voie d'une sanction de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer alors qu'il fallait établir que la comptabilité était fictive ou inexistante, chose beaucoup plus difficile à prouver.

Pire, ce même élargissement du domaine d'action donné au juge peut être constaté en matière pénale avec le délit de banqueroute.

La volonté des juges de sanctionner plus sévèrement les dirigeants d'entreprise se trouvent ainsi confronté par un durcissement des dispositions légales en la matière.

Même en dehors de ces cas plus complexes, les juges peuvent aisément prononcer des sanctions sur le fondement de l'absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légalement requis de 15 jours.

Toute personne qui connaît le fonctionnement des entreprises et les problèmes de trésorerie qu'elles rencontrent à l'heure actuelle, comprendra que cette obligation est impossible à respecter alors pourtant que cette omission justifie à elle seule le prononcé de la faillite personnelle ou de l'interdiction de gérer à l'encontre du dirigeant.

Si l'on ajoute que le juge ne peut pas prendre de telles mesures pour une durée inférieure à 5 ans, on comprendra que les dirigeants d'entreprise puissent être inquiets pour leur avenir.

Malheureusement, les dirigeants d'entreprise ne sont pas assez bien informés des sanctions qu'ils encourent et prennent souvent des risques non calculés qui les mènes dans des impasses dont il est difficile de sortir.

L'analyse du périmètre de ces risques se prépare avant la cessation des paiements et doit se prolonger après l'adoption d'un plan de continuation ou de la liquidation puisque les services chargés de ces sanctions disposent encore de 36 mois pour demander des comptes au dirigeant qui ne s'attend bien souvent plus à voir sa responsabilité engagée pour une affaire qu'il considère comme ancienne.

Aussi, la protection des dirigeants d'entreprise et de leur avenir professionnel constitue un domaine d'investigation qui requiert de la part des conseils des dirigeants des compétences toutes particulières ainsi qu'une longue pratique de la loi du 25 Janvier 1985.

Règlement amiable

Régie par les articles 35 à 37 de la loi du 1er mars 1984 et 36 à 39 du décret du 1er mars 1985, le règlement amiable doit permettre, en dehors de toute décision de justice, un sauvetage rapide et discret de l'entreprise qui connaît des difficultés sans se trouver déjà en cessation des paiements. C'est une procédure beaucoup plus souple que le redressement judiciaire, qui présente en outre deux avantages : elle préserve une discrétion nécessaire si l'on veut éviter d'inquiéter les partenaires de l'entreprise sur la situation de celle-ci, et le dirigeant garde le contrôle de sa gestion.

Tout commerçant ou artisan peut en faire la demande au président du tribunal de commerce, et toute personne morale de droit privé a la même possibilité devant le président du tribunal de grande instance ; seules les entreprises individuelles civiles sont donc exclues du bénéfice du règlement amiable (par exemple les particuliers exerçant une profession libérale).

L'entreprise ne doit pas encore se trouver en état de cessation des paiements (sinon le dépôt de bilan est obligatoire), mais doit éprouver des besoins ne pouvant être couverts par un financement adapté à ses possibilités. Ce critère large donne une grande liberté d'appréciation au président du tribunal quant à l'opportunité d'ouvrir la procédure.

Seul le représentant de l'entreprise peut déposer une demande de règlement amiable ; ni le ministère public, ni les créanciers, ni les salariés ne peuvent le faire, et le président ne peut se saisir d'office. Le règlement amiable ne peut donc être imposé au dirigeant ; c'est un contrat, dans lequel il est libre de s'engager ou non.

Selon l'article 36 du décret de 1985, le dirigeant qui demande le règlement amiable doit fournir des renseignements propres à éclairer le président du tribunal sur la situation économique de l'entreprise (situation de l'actif réalisable et disponible, liste des créances et des dettes...). Il doit également présenter à l'appui de sa demande un ensemble de mesures suffisamment précises (comptes prévisionnels, propositions de délais et remises de dettes) pour ramener l'entreprise à l'équilibre.

Saisi de cette demande, le président du tribunal a plusieurs options qui s'adaptent à la gravité de la situation de l'entreprise :

  • il peut d'abord nommer un administrateur ad hoc dont il définit la mission (de l'audit à l'assistance à l'entreprise, en passant par l'élaboration d'un plan de redressement).
  • si cette mesure ne suffit pas, le président du tribunal peut désigner un conciliateur : après audition de l'auteur de la demande et recherche éventuelle de renseignements sur la situation de l'entreprise (recherche pour laquelle le président dispose de larges pouvoirs d'investigation), voire une expertise de la situation économique, financière et sociale de l'entreprise, le conciliateur est nommé pour trois mois maximum (prorogés d'un mois à la demande de ce dernier). Ce peut être un administrateur judiciaire, un expert en diagnostic d'entreprise, mais aussi un expert-comptable, un avocat-conseil, un cadre de l'entreprise, ... Il orchestre la négociation entre le débiteur et ses créanciers, suggérant à l'un des mesures de restructuration et s'efforçant de faire accepter aux autres des délais et remises. Depuis la loi du 10 juin 1994, il peut même assurer le fonctionnement de l'entreprise pendant cette négociation.

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